Le Rhin
3.3. L'aménagement du cours supérieur du Rhin
Etat du cours d'eau au début du XIXe siècle
La correction du Rhin avant 1840
Les travaux de Tulla
Les projets de régularisation
Le grand canal
3.3.5. Le grand canal
3.3.5.1. Le projet
Tout comme celui de Strasbourg, le port de Bâle tomba dans le marasme suite aux travaux du projet Tulla. L'érosion continue du lit du Rhin en aval de Bâle, provoquée par la concentration des débits hors période de crue, dans un lit mineur de faible largeur, et par l'accroissement de la vitesse consécutive à l'augmentation de la pente du cours d'eau, ne pouvait être maîtrisée. Le lit du fleuve s'enfonçait de plus en plus dans ses alluvions. A Chalampé l'abaissement est de 0,10m par an entre 1845 et 1855 ! Un siècle plus tard le lit s'est enfoncé de 7 mètres au total. Vers 1900, l'érosion avait fait un tel travail qu’à la hauteur d’Istein le fleuve s’était enfoncé de 4 mètres, faisant apparaître une barre rocheuse traversant le lit du fleuve et rendant toute navigation impossible la majeure partie de l'année (33 jours navigables en 1928 !).
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Le succès des travaux de régularisation entrepris en aval de Strasbourg encourage la Suisse à obtenir la poursuite de l'entreprise entre Strasbourg et Bâle. Or le traité de Versailles reconnaît à la France le principe de la construction d'un canal latéral le long du secteur considéré et lui réserve le droit exclusif à l'énergie produite par l'exploitation du fleuve, sous conditions qu’elle ne nuise pas aux conditions de navigation
C'est ainsi que le 29 avril 1925, la « Commission centrale pour la navigation du Rhin » approuve à la fois le projet dit « Grand Canal d'Alsace » (projet français), et le projet de régularisation du Rhin entre Istein et Strasbourg-Kehl (projet germano-suisse).
Le projet de canal latéral avec utilisation du courant était à l’étude depuis longtemps : un premier projet d'envergure est présenté par René Koechlin, ingénieur à Mulhouse, en 1902 : il s’occupe principalement du secteur d’Istein. Un second, plus vaste, de 1919, concerne tout le secteur Strasbourg – Bâle.
Schéma de l’évolution des rectifications du Rhin et de la naissance du « Petit Rhin » |
Les deux projets, français et germano-suisse ne sont pas rivaux. Celui de la régularisation doit apporter à court terme une amélioration de la navigabilité du fleuve ; celui du canal est une oeuvre de longue haleine qui allait prendre un demi-siècle pour se réaliser.
3.3.5.2. La régularisation
Les travaux de régularisation du secteur Strasbourg - Bâle reprennent le projet des épis transversaux de Girardon. En dessinant un tracé sinusoïdal, la succession d’épis en enrochement en vrac contraint le fleuve à draguer lui-même les hauts-fonds et à entretenir un chenal régulier. En final en 1956, ce sont 2 538 petits ouvrages réalisés qui ont utilisé 4 millions de tonnes de pierres.
Ces travaux sont menés de 1907 à 1931 entre Mannheim et Strasbourg, puis de 1930 à 1956 pour la partie entre Strasbourg et Istein (près de Kembs), avec une interruption pendant la deuxième guerre mondiale. Parallèlement, l’ingénieur alsacien René Koechlin développe le projet de Grand Canal d’Alsace.
René Koechlin |
Les résultats sont spectaculaires sur l'évolution du port de Bâle : le trafic rhénan, de l'ordre de 400 000t en 1930 passe à 2 millions de tonnes en 1937, à 3 millions de tonnes en 1950 et à plus de 9 millions de tonnes en 1974 (dans ces chiffres ne figurent pas ceux qui assurent le trafic bâlois par le canal du Rhône au Rhin et le canal de Huningue).
Schéma du principe des épis transversaux implantés sur le lit du Rhin |
3.3.5.3. La canalisation
Quant aux travaux du Grand Canal d'Alsace, ils démarrent en 1928 : 8 « chutes » sont prévues entre Strasbourg et Bâle, chacune comprenant une usine hydro-électrique et deux écluses de navigation, toutes commandées par un seul barrage construit à Kembs. La première chute, celle de Kembs, réalisée par la société « l'Énergie électrique du Rhin » est inaugurée par le président de la République Albert Lebrun en 1932 ; la suivante, celle d’Ottmarsheim, est mise en service en 1952 par l’EDF, désormais maître d’œuvre après les nationalisations de 1946. Suivent Fessenheim (octobre 1956) et Vogelgrün (mars 1959).
3.3.5.4. L’aménagement en festons
Mais la solution du Grand Canal d'Alsace avec un barrage unique à pour conséquence, en dehors des périodes de crue, d’assécher l'ancien lit du Rhin, de faire baisser dangereusement la nappe phréatique indispensable à l'agriculture dans la plaine du Rhin, et d'empêcher l'accès au nouveau cours d'eau navigable côté allemand.
Plan d’aménagement d’une centrale en feston avec bief (Marckolsheim, Rhinau, Gerstheim, Strasbourg) |
Aussi des accords franco-allemands (Luxembourg, 27 octobre 1956) définissent les conditions de canalisation de la Moselle et modifient les caractéristiques de la canalisation du Rhin en aval de Vogelgrün : le projet de grand canal est abandonné au profit d’un aménagement dit « en festons » : chaque ensemble « usine-écluses » sera désormais construit sur une dérivation du fleuve réalisée à l'aide d'un barrage dans le lit du Rhin, avec une restitution au fleuve lui-même : Chaque aménagement en feston comprend son propre barrage qui dérive l’eau du Rhin dans un canal d’amenée en créant une île. La centrale et l’écluse sont construites sur cette dérivation du fleuve. Puis l’eau est restituée au Rhin naturel après le franchissement de la chute. Le Rhin naturel conserve un débit minimum permanent de 15 m3/s, appelé « débit réservé » pour assurer la vie de la faune et de la flore et le niveau moyen de la nappe phréatique est maintenu. Quatre chutes sont ainsi créées et mises successivement en service: Marckolsheim (1961), Rhinau (1963), Gerstheim (1967) et Strasbourg (1970).
L’équipement hydro-électrique du Rhin en Alsace |
Le but du programme de 1925 est ainsi atteint. La navigation est assurée d'un bout de l'année à l'autre entre Strasbourg et Bâle ; de plus diverses zones portuaires et industrielles le long du cours d'eau aménagé sont implantées, et les 8 usines hydroélectriques fournissent en moyenne 7 milliards de kWh/an.
3.3.5.5. La poursuite de l'aménagement en aval de Strasbourg
Cependant, le phénomène d'érosion est reporté à val de chaque chute. Il faut donc trouver une solution pour éviter l'abaissement du plan d'eau au droit des ports de Strasbourg et de Kehl et dans les bassins en communication directe avec le Rhin d'une part, ainsi que l'abaissement de la nappe phréatique du Rhin d'autre part. Comme par ailleurs la RFA avait entrepris de travaux d’aménagement du fleuve dans secteur Lauterbourg- Saint Goar et réalisé un troisième chenal navigable à l’aval de Bingen, la navigation des convois risquait de ne pouvoir se faire au-delà de Lauterbourg.
Aussi la France et la R.F.A. décident de poursuivre les travaux de canalisation en aval de Strasbourg et décident d’aménager deux chutes, à Gambsheim et à Iffezheim. Il s'agit d'un aménagement différent, sans canal de dérivation : Le barrage et son évacuateur de crues, l'usine hydro-électrique et le groupe des 2 écluses sont implantés sur un même axe transversal au Rhin, dans le lit même du fleuve.
Deux sociétés concessionnaires, l'une de droit français à Gambsheim (la CERGA), l'autre de droit allemand à Iffezheim (RKI), exploitent les ouvrages énergétiques deux Etats bénéficient chacun de la moitié de la production hydroélectrique de chacune des usines de Gambsheim et Iffezheim, mises en service respectivement en 1974 et 1977.
L’étape suivante consiste à aménager le fleuve en aval d’Iffezheim, toujours pour parer au problème de la navigation. Le projet de réalisation d'une troisième est remi sine die en 1977 au profit de toute une série de travaux plus modestes mais plus efficaces en vue d’améliorer la protection contre les crues et les conditions de navigation, et enrayer le phénomène d'érosion. Ce sont les mesures dites d’« écrêtement » : construction de différents « polders » ou bassins de rétention des crues, comme le polder d'Erstein et celui du confluent de la Moder et du Rhin ; construction de barrages dits « agricoles » pour relever le niveau de la nappe phréatique rhénane ; relèvement des digues de correction ; approfondissement à 2,10 m sous étiage équivalent du chenal navigable (largeur de l’ordre de 90 m) entre Beinheim (Iffezheim) et Lauterbourg ; réalimentation en débit solide du Rhin en aval d'Iffezheim (soit un apport annuel de 200 000 m3 de cailloux calibrés).
3.3.5.6. Conclusion
Au terme de ces aménagements, le cours supérieur du Rhin est aujourd'hui canalisé sur 165km de Bâle jusqu'à Iffezheim, permettant aux automoteurs de gros tonnage et aux convois poussés de 4 barges (10 000 tonnes) de naviguer en toute sécurité et avec une parfaite régularité. Un automoteur transportant des conteneurs descend de Strasbourg à Rotterdam sur 700km en 40 heures et en remonte en 70 heures. La flotte rhénane, et les équipements portuaires qui se sont développés tout le long du fleuve, ont suivi les progrès de cet aménagement.