Nazisme : les opérations « T4 » et « 14F3 » (2ième guerre mondiale 1939-1945)
2.2. Une autre problématique : l'euthanasie
Ce qui vaut pour l’eugénisme est loin de s’appliquer à l’euthanasie avant 1933. Si le débat sur l’eugénisme est pratiquement réglé et aurait sans doute fait l’objet d’une loi sans le nazisme, la question de l'euthanasie reste encore relativement confidentielle entre 1913 et 1933 : moins d'une dizaine de psychiatres (dont une bonne moitié contre) et à peine plus d'autres médecins non psychiatres prennent publient leur opinion sur l'euthanasie avant 1933.
Comparativement, la défense de l'euthanasie en Allemagne avant 1933 mobilise, sur le plan professionnel, surtout des juristes et des psychiatres. Les acteurs médicaux de l'euthanasie des années 1939-1945 sont essentiellement des psychiatres, des pédiatres et de très jeunes médecins « idéalistes » et sans spécialité. Professionnellement, le champ d'intersection entre eugénisme et euthanasie concerne donc en premier lieu la psychiatrie.
En 1921, l'assemblée des médecins allemands rejette encore à l'unanimité un projet de loi autorisant la « suppression des vies indignes d'être vécues ». Sous la république de Weimar, le terme « euthanasie » possède deux significations principales :
- la « Sterbhilfe », ou « aide à la mort », où l'euthanasie consiste à accélérer la mort d'un malade conscient affecté d'une maladie incurable, qui la réclame lui-même ;
- la « suppression des vies indignes d'être vécues » au nom de l'intérêt collectif, notion qui débouchera sur la suppression des malades et handicapés mentaux « incurables » sous le nazisme.
Le débat sur l’euthanasie oppose alors trois grandes tendances :
- Celle des adversaires de toute forme d'euthanasie, généralement religieux : 'homme n'a pas à se substituer à Dieu ;
- Celle des partisans de l'élimination « étatique » des handicapés mentaux, comme le professeur Hoche ;
- Celle des partisans de « l'aide à la mort », mais résolument opposés à l'euthanasie des handicapés qui ne le demandent pas.
A ce moment, euthanasie et eugénisme ne sont pas liés : de tous les arguments avancés pour l'euthanasie au nom de l'intérêt collectif, aucun ne se réclame généralement ni ne relève directement de l'eugénisme. Les deux arguments majeurs et récurrents de l'euthanasie au nom de l'intérêt collectif ressortent plutôt de l'évaluation bio-médicale du niveau d'humanité d'un individu et du coût économique « faramineux » des « existences fardeaux » (« Ballastexistenzen ») pour la collectivité. D'ailleurs, dans le langage des psychiatres nazis, l'euthanasie des adultes s'appelle « mesure de planification économique » et non « mesure d'hygiène de l'hérédité ». Dans la pratique, le critère le plus important n’est pas l'éventuelle propagation d'une maladie héréditaire, mais la curabilité, l'aptitude au travail et la productivité des patients.
Extrait d’un document statistique de Hartheim retrouvé par les Américains en 1945. Il fait état de gains réalisés par l’état allemand grâce à la « désinfection » de 70 723 handicapés lors de T4 |
D’ailleurs les principaux partisans de l’eugénisme se prononcent en général contre l’euthanasie : c’est le cas du professeur Rüdin qui en 1923 se prononce contre l'euthanasie des vies « sans valeur » mais « dotées de sentiments » ; en 1931, le psychiatre-généticien Luxemburger, principal collaborateur de Rüdin, publie un catalogue des mesures « psychiatriques-eugénistes » où il condamne comme « indigne d'un peuple civilisé l'euthanasie des ‘vies indignes d'être vécues’ » et rappelle « le respect inconditionnel de la vie de l'être humain » ; en 1933 même l'anthropologue hygiéniste racial nazi L. Loeffler condamne l’euthanasie, ou encore le professeur Karl Bonhoeffer (1868-1948), dont deux fils résistants seront exécutés par les nazis.
Le professeur Karl Bonhoeffer et son épouse Paula |
Tous par contre sont unanimes à vouloir la mise en place d’une politique eugéniste et approuveront la Loi de stérilisation promulguée par le gouvernement de Hitler en juillet 1933, la considérant comme une « étape importante dans la thérapie psychiatrique » du point de vue de la « prophylaxie » (Karl Bonhoeffer).