Nazisme : les Einsatzgruppen (2ième guerre mondiale)
5. Les grands massacres
Le massacre des Juifs de Lettonie
Babi Yar
La forêt de Krepiec
Le massacre des juifs de Przemysl dans la forêt de Grochowce
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Einsatzgruppen : massacres entre le 17 juillet et le 31 août 1941 |
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Einsatzgruppen : massacres entre le 22 juin et le 6 juillet 1941 |
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Einsatzgruppen : massacres à l'est entre juin 1941 et novembre 1942 |
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Einsatzgruppen : massacres entre septembre et octobre 1941 |
5.2. Babi Yar
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Babi Yar : carte de Kiev, des sites de rassemblement et du ravin de la mort |
5.2.1. La prise de la ville par les Allemands
Les 19 et 20 septembre 1941 Kiev est occupée par la 6è armée allemande. A ce moment 875 000 personnes habitent la ville, dont 175 000 Juifs, représentant 20% de la population. Quelques unes des plus importantes industries de guerre avaient été évacuées par les Soviétiques avec tout leur personnel. Parmi celui-ci, 20 à 30 000 Juifs ukrainiens. Entre 130 et 140 000 Juifs tombent donc entre les mains des nazis. La population, se souvenant de l’occupation de la ville par les Allemands en 1918, est convaincue que les nazis vont se comporter comme leurs aînés, de façon amicale et civilisée. On est convaincu que les occupants vont rendre leurs droits et leurs propriétés aux gens spoliés par le régime stalinien. Pour les Ukrainiens, la Wehrmacht ressemble à une armée de libération. Les Juifs sont à cent lieues de s’imaginer le sort qui les attend. Mais dès la première journée d’occupation, des Juifs sont poursuivis et quelques-uns assassinés. Les Allemands n’envisagent cependant pas l’établissement d’un ghetto.
| Babi-Yar, près de Kiev : le ravin de la mort… Vue aérienne |
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5.2.2. Les attentats
Le 24 septembre et dans les jours qui suivent, plusieurs bombes explosent dans la ville (rue Kreshtchatik et Prorizna), provoquant d’énormes dégâts. Des dizaines de maisons occupées par des Allemands au centre ville sont détruites, dont le quartier général de l’armée, l’hôtel Continental. Une centaine de soldats et d’officiers allemands sont tués et un incendie consécutif aux explosions ravage encore d’autres bâtiments. Ces bombes ont été posées par des éléments du NKVD restés dans la ville après la retraite soviétique.
Le Général de la Wehrmacht Alfred Jodl témoigne lors de son procès à Nuremberg :
« ...Nous avions à peine occupé la ville, qu’il y eut un suite d’énormes explosions. La plus grande partie du centre ville était en feu ; 50 000 personnes se trouvaient sans toit. Des soldats allemands furent mobilisés pour combattre l’incendie ; Ils subirent d’énormes pertes, car pendant qu’ils luttaient contre le feu, d’autres bombes explosèrent encore… Le commandant de la place de Kiev pensa d’abord que la responsabilité du désastre incombait à la population civile locale. Mais nous avons trouvé un plan de sabotage qui avait été préparé longtemps à l’avance et qui avait listé 50 à 60 objectifs, prévus pour être détruits. Les techniciens ont immédiatement prouvé que le plan était authentique. Au moins 40 autres objectifs étaient prêts à être détruits ; ils devaient sauter grâce à un déclanchement à distance par ondes radio. J’ai eu en mains le plan. »
5.2.3. Le prétexte
Dans la rue Kreshtchatik les Allemands arrêtent un Juif en train de sectionner un tuyau destiné à combattre l’incendie. Il est immédiatement abattu. Cet incident devient le prétexte pour rendre responsables des explosions les Juifs de la ville. Le commandant militaire de Kiev, le major général Eberhardt rencontre immédiatement le HSSP SS-Obergruppenführer Friedrich Jeckeln, commandant de l’Einsatzgruppe C, le SS-Brigadeführer Otto Rasch et le commandant du Sonderkommando 4a, le SS-Standartenführer Paul Blobel. Il décident que le seule « réponse appropriée » à cet acte de sabotage ne peut être que la destruction radicale des Juifs de Kiev, et qu’elle sera réalisée par le Sonderkommando 4a. Ce commando est formé d’hommes du SD et de la SiPo, des 3 compagnies des « Bataillons de Waffen-SS mises à disposition pour des actions spéciales », et d’une unité du 9è bataillon de Police. Les 45è et 305è régiments du « régiment de police sud » ainsi que quelques troupes d’auxiliaires ukrainiens sont mis à disposition pour le soutien de l’action. Le lieu d’exécution est rapidement choisi : c’est un ravin profond, à environ 10km des limites de la ville : Babi Yar (Babyn Jar en ukrainien). Aujourd’hui l’endroit et englobé dans les limites de la ville.
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Le ravin de Babi Yar |
5.2.4. Le rassemblement
5.2.5. Le massacre
Le lundi 29, ils sont des milliers à obéir à l’ordre allemand. Gardés par les SS, les hommes du SD et les auxiliaires ukrainiens, ils se rendent par groupes de 100 par la rue Melnikova au cimetière juif qui se trouve à proximité du ravin de Babi Yar. L’ensemble du secteur est entouré d’une clôture de barbelée et gardé par plusieurs cordons d’hommes de troupe : la police ukrainienne forme le cordon extérieur, ukrainiens et allemands le cordon central, allemands uniquement le cordon intérieur. Au bord du ravin les Juifs doivent se déshabiller et déposer tous leurs objets et valeurs. Puis, par groupes de 10 ils descendent dans le ravin. Là , on les exécute au fusil ou à la mitrailleuse sous les yeux de leurs compagnons d’infortune pour qui toute fuite est désormais inutile et impossible.
| Babi Yar : la route du supplice est jonchée de cadavre de récalcitrants |
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| Babi Yar : ramassage des effets des victimes |
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Beaucoup plus de Juifs sont conduits à la mort que n’en espèrent les Allemands. D’après un rapport de l’Einsatzgruppe C, les SS s’attendent à ce qu’arrivent entre 5 et 6 000 Juifs. Ils sont plus que 30 000, croyant tous qu’ils allaient être transférés. En conséquence, tous les Juifs ne peuvent pas être massacrés le même jour. Mais pour aller plus vite, on invente des « techniques » :
« Les tueurs n’avaient pas assez de temps d’accomplir leur tâche. C’est pourquoi ils placent les gens tête contre tête, afin qu’une balle touche deux personnes. Ceux qui étaient seulement blessés sont achevés à coup de pelle. Des enfants sont jetés vivants dans le ravin et enterrés… »
Félix Levitas, historien.
« Ils fusillèrent les gens du matin au soir. La nuit tombée, les Allemands se couchèrent. Le reste des victimes fut enfermé dans des garages. Le massacre s’étendit sur 5 jours. Les nazis amenaient toujours plus de personnes, et seuls des camions chargés des vêtement des victimes sont partis… »
Sergey Ivanovich Lutsenko, ancien gardien du cimetière de Lukianivka
| Babi Yar : ramassage des effets des victimes |
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| Babi Yar : ramassage des effets des victimes |
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Le massacre des juifs de Kiev dure jusqu’au 3 octobre 1941. Dans les mois suivants, le ravin de Babi Yar continue à servir de lieu d’exécution pour des Juifs, des civils ukrainiens, des prisonniers de guerre soviétiques, des Tziganes sinti ou roma. D’après les sources soviétiques, entre 100 et 200 000 personnes ont été exécutées à Babi Yar jusqu’à la libération de la ville le 6 novembre 1943. D’après un rapport de l’Einsatzgruppe C du 7 octobre 1941, le nombre des victimes juives des massacres de septembre 1941 s’élève à 33 771 Juifs. Quelques habitants de Kiev ont dénoncé leurs voisins juifs. Mais d’autres leur ont proposé de les cacher. Après la guerre le chef du SiPo et du SD de Kiev a affirmé que son bureau avait reçu des corbeilles pleines de lettres de dénonciation au point de pas réussir à les traiter toutes. Mais depuis 1990 l’« Union des Juifs d’Ukraine » à décerné le titre de « Juste de Babi Yar » à 431 personnes qui ont caché et sauvé des Juifs. Lorsque les Allemands quittent la ville en 1943, ils décident de déporter tous les habitants de la ville pour l’Allemagne. Ils rassemblent les gens à l’aide de chiens policiers et massacrent les récalcitrants, les vieux et les malades. Ce sont à nouveau des scènes effrayantes. Kiev donne l’impression ville morte.
5.2.6. Le « Sonderkommando 1005 »
En juillet 1943, Paul Blobel est de retour à Kiev, cette fois avec son « Sonderkommando 1005 » pour effacer les traces des tueries. Il est secondé par le SS-Gruppenführer Max Thomas, chef du SD et de la SiPo d’Ukraine. L’unité qui œuvre à Babi Yar se compose de 10 hommes du SD et de 30 policiers allemands commandés par le SS-Obersturmbannführer Baumann. Ils encadrent 327 détenus du camp de Syrets (dont environ 100 Juifs) qui en 6 semaines effectuent ce macabre travail. Chaque homme est enchaîné avec une chaîne de 2 à 4 mètres de long. Celui qui est fatigué et ne travaille pas assez vite est aussitôt abattu.
Blobel témoigne le 18 juin 1947 :
« Durant mon inspection j’ai pu assister à une crémation dans une fosse commune près de Kiev. La fosse était longue d’environ 55 mètres sur 3 mètres de large et 2,5 mètres de profond. Après que la terre eut été mise de côté, les corps ont été arrosés avec un produit inflammable puis allumés. Cela dura deux jours jusqu’à ce que le tout soit consumé. Puis la fosse fut comblée et toutes les traces effacées. A cause de l’avancée du front, il ne me fut pas possible de détruire toutes les fosses communes au sud et à l’est, résultats des massacres perpétrés par les Einsatzgruppen. »
| Babi Yar : Syrets, le camp du « Kommando 1005 » chargé de déterrer et d’incinérer les victimes de la tuerie |
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| Babi Yar : Syrets, le camp du « Kommando 1005 » chargé de déterrer et d’incinérer les victimes de la tuerie |
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Les cadavres sont brûlés sur de bûchers érigés sur des rails de chemin de fer. Lorsqu’un bûcher est consumé, le Sonderkommando des détenus est chargé de rassembler tous les restes d’ossements non totalement réduits en cendre et de les réduire au pilon. Enfin les cendres sont fouillées afin de récupérer éventuellement de l’or ou de l’argent. Sur 327 détenus, 15 arrivent à s’échapper, mais tous les autres seront exécutés.
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Babi Yar 1943 : prisonniers de guerre soviétiques obligés d’exhumer les cadavres des victimes du massacre et de les brûler |
5.2.7. Après la guerre
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Babi Yar : fouilles du ravin à la fin de la guerre |
Pour des motifs politiques, aucun monument de sera édifié à Babi Yar avant 1976. Le mémorial de 1976 ne fait aucune allusion aux Juifs massacrés. Il faut attendre 1991 pour que soit édifié une Menorah du souvenir, qui sert aujourd’hui de mémorial central des Juifs de Kiev. C’est sans doute le poète Evgeni Ievtutchenko qui exprime le mieux le drame des ces journées dans son œuvre « Babi Yar », publiée et 1961 et que Dimitri Chostachovitch évoquera en partie dans sa 13è symphonie, créée en 1962.
| Babi Yar : ménora |
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5.2.8. Témoignage : Journal d’Iryna Khoroshunova, 29 septembre et 2 octobre 1941
« Nous ne savons toujours pas ce qu’ils font avec les Juifs. Il arrive d’épouvantables rumeurs du cimetière de Lukianivka. Mais elles sont impossibles à croire. Elles disent que les Juifs sont fusillés… Quelques personnes prétendent que les Juifs sont massacrés à la mitrailleuse. Tous. D’autres, que 16 wagons de chemin de fer sont prêts et que les Juifs vont être envoyés ailleurs. Mais où ? Personne ne le sait. Une seule chose semble claire : tous leurs papiers, affaires et toute leur nourriture ont été confisqués. Ensuite ils sont poussés vers Babi Yar, et là … Je ne sais pas. Je sais seulement une chose : il se passe là bas quelque chose d’épouvantable, quelque chose d’inimaginable, que l’on ne peut pas comprendre… »
Journal d’Iryna Khoroshunova, 29/09/1941
« Chacun dit maintenant que les Juifs sont assassinés. Non ; ils ont déjà été tués. Tous. Sans exception. Vieilles personnes, femmes, enfants. Ceux qui le lundi (29 septembre) sont rentrés à la maison ont aussi été tués. Les gens en parlent d’une telle façon qu’aucun doute n’est permis. Pas un seul train n’a quitté la gare de Bahnhof Lukianivka. Des gens ont vu des camions avec des foulards et d’autres objets partant de la gare. « Minutie » allemande ! Ils ont déjà trié leurs rapines ! Une jeune fille russe a accompagné son amie au cimetière et s’est glissée de l’autre côté de la clôture : elle a vu comment des gens nus ont été poussés vers Babi Yar et a entendu les rafales d’une mitrailleuse. Il y a de plus en plus de rumeurs et de nouvelles. Trop monstrueuses pour y croire. Mais nous sommes obligés d’y donner foi, car le massacre des Juifs est une réalité. Une réalité qui nous rend fous. Il est impossible de vivre en sachant cela. Autour de nous, les femmes pleurent. Et nous ? Nous pleurions aussi le 29 septembre, lorsque nous pensions qu’ils seraient emmenées dans un camp de concentration. Mais maintenant ? Pouvons-nous pleurer réellement ? Je suis en train d’écrire. Mais mes cheveux se dressent sur ma tête. »
Journal d’Iryna Khoroshunova , 02/10/1941
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