Nazisme : les Einsatzgruppen (2ième guerre mondiale)
3.2. Les camions à gaz
Réagissant à cette expérience, Himmler ordonne à Nebe, chef de l’Einsatzgruppe B, de chercher un moyen d’abréger autant que possible les souffrances de ces personnes car, après cette expérience, il en est arrivé à la conclusion que « la fusillade n’[était] tout de même pas la méthode la plus humaine ». Nebe, au courant des gazages par camions de l’opération T4 soumet le projet à son supérieur Heydrich, chef de la Sicherheitspolizei (Police de sécurité) et du SD (Sicherheitsdienst, Service de Sécurité). Heydrich s’adresse au début d’octobre au SS-Obersturmführer Rauff, directeur du service II D3 (Questions techniques), pour mettre au point un véhicule à gaz.
Les zones d'action des camions à gaz en Europe de l'Est |
Dans sa déposition, Wentritt, chef d’atelier au Referat II D3a du RSHA, déclare à ce sujet:
« On était encore en 1941 lorsque mon chef de service, le Commandant Pradel, me convoqua. Il m’expliqua que les Erschiessungskommandos souffraient souvent de crises nerveuses pendant leur service - ou du moins y étaient sujets - de sorte qu’il était nécessaire de trouver un type de mise à mort plus humain. Pour ce faire, nous avions besoin, comme Pradel me l’exposa, de véhicules fermés »
Sur ordre de Rauff, Pradel et Wentritt, se rendent à Berlin-Neukölln pour visiter la Firme Gaubschat, spécialisée dans la construction de superstructures ; ils prétendent avoir besoin de véhicules dans lesquels on pourrait transporter des personnes mortes du typhus. Il est convenu que le RSHA livrerait les châssis à la firme, « laquelle devrait les pourvoir d’une superstructure ». La commande est directement passée par Rauff. Après que les châssis eurent été livrés à la Firme Gaubschat, Wentritt vint chercher lui-même le premier véhicule achevé. Comme il s’agit d’une « geheime Reichssache » (secret d’État), c’est dans l’atelier du Referat II D3a, qu’il entreprend les transformations de la superstructure en chambre à gaz alimentée par les gaz d’échappement du moteur. Peu de temps après, début novembre a lieu un essai de gazage au camp de concentration de Sachsenhausen, gazage concluant effectué sur 30 personnes. Les autres véhicules commandés à la firme Gaubschat (Daimond et Opel-Blitz) sont alors eux aussi aménagés en camions à gaz.
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Les premiers camions à gaz sont mis en service à la fin de novembre ou au début de décembre 1941. La première utilisation attestée d’un camion à gaz à lieu dans le domaine d’intervention de l’Einsatzgruppe C à Poltawa et est le fait du Sonderkommando 4a. La mise en œuvre de camions à gaz par un commando déjà connu, le Spezialkommando Lange, est attestée pour la date du 8 décembre à Chelmno, où deux « camions de petite taille » sont mis en service. Gustav Laabs, le chauffeur d’un de ces camions déclara dans sa déposition : « J’ai constaté plus tard que ces camions étaient des 3 tonnes de fabrication américaine... L’intérieur de la superstructure de ces camions était, comme j’ai pu le voir plus tard de 4m de long sur 2m de large... Dans le camion que je conduisais, 50 personnes environ sont mortes gazées ». Deux autres camions à gaz de petite taille sont amenés de Berlin à Riga avant Noël 1941 et 1 autre, pouvant contenir environ 50 personnes est livré à l’Einsatzgruppe D pour la fin de l’année 1941. Le Höherer SS-und Polizeiführer Jeckeln déclare dans sa déposition du 21 décembre 1945: « Lorsqu’en décembre 1941, à Lötzen, je fis part par oral à Himmler de l’exécution d’un ordre concernant la fusillade des Juifs du ghetto de Riga, celui-ci me dit que la fusillade était une opération trop compliquée. L’exécution au fusil nécessitait des gens qui savaient tirer, et de plus, elle avait des effets nuisibles sur ces derniers. C’est pourquoi, ajouta Himmler, il serait bien mieux de liquider les personnes en utilisant des « camions à gaz », qui avaient été mis au point conformément à ses indications »
D’autres camions, plus gros, de la marque Saurer, sont aussi aménagés en camions à gaz. Il s’agit de camions de 5 tonnes, dont la superstructure est de 5,8m.de long sur 1,7m de haut, pouvant transporter jusqu’à cent personnes et équipés d’un système de déchargement plus rapide. 30 sont commandés fin 1941 à la firme Gaubschat. En avril 1942, 22 sont déjà livrés. Ce même mois, le SS-Gruppenführer, Harald Turner, demande et obtient un camion à gaz pour tuer les Juifs de Belgrade. Le 9 juin, ce camion Saurer, une fois sa « mission spéciale » accomplie, retourne à Berlin. Après avoir subi les réparations nécessaires, il est envoyé à Riga, conformément à la demande du 15 juin. Des camions à gaz ont été vus fréquemment roulant vers l’Est et faisant escale à Cracovie ou à Breslau. Le chef de l’Einsatzgruppe D, Ohlendorf, déclare dans sa déposition que les camions à gaz n’appartenaient pas au parc automobile des l’Einsatzgruppen, mais avaient été envoyés de Berlin. Pour les conduire, des chauffeurs, préalablement formés à leur maniement, étaient dépêchés sur place. Ces chauffeurs de camions à gaz déclarèrent dans leurs dépositions, être allés chercher les véhicules à Berlin sur ordre de l’Einsatzleiter du Groupe II D3a et les avoir conduits sur le lieu de leur mise en service. C’est donc le Referat II D3a qui est responsable du fonctionnement des camions à gaz. Sur ordre de Rauff, le SS-Untersturmführer August Becker rend visite aux Einzatzgruppen pour contrôler le fonctionnement des camions et remédier aux problèmes qui se présentent. Ces déplacements l’occupent de la mi-janvier à septembre 1942. Becker est le « spécialiste » allemand de la mise à mort des être humains par gaz dans le cadre de l'opération dite d'Euthanasie (action T 4) au cour de laquelle des dizaines de milliers de malades mentaux et d'handicapés furent assassinés. A la fin de sa mission dans le cadre de l'action T 4, il est affecté aux questions techniques des gazages à l'Est.
Cependant, les camions à gaz n’offrent pas la solution idéale : non seulement la méthode était lente, mais, selon Otto Ohlendorf, elle n'est pas appréciée par ses hommes parce que « décharger les cadavres constituait une tension psychologique inutile ». Enfin, par mauvais temps, les camion Saurer s’embourbent très facilement et sont pratiquement inutilisables. Aussi l’utilisation des camions à gaz reste une solution certes régulièrement utilisée, mais de bien moindre envergure que les fusillades, qui demeurent la technique la plus courante.