Nazisme : les Einsatzgruppen (2ième guerre mondiale)
1.3. De la « transplantation » à l’extermination
Carte des campagnes des Einsatzgruppen sur le front est : un « assaut » contre les Juifs strictement et méticuleusement planifié |
Dans les premières semaines de la campagne, les victimes parmi les Juifs sont essentiellement des hommes. De plus elles sont tuées suivant les dispositions de la loi martiale, devant un peloton d’exécution armé de fusils ou de carabines avec salve tirée sur ordre de feu. Les victimes gardent leurs habits.
Mais quelques semaines plus tard, il n’y a plus de procédure militaire. On est passé à la « boucherie de masse » : les victimes sont aussi bien des hommes, femmes et enfants, jeunes ou vieux, malades ou bien portants. Il n’y a plus de pelotons, mais des exécutions par balle dans la tète des victimes désormais dénudées et agenouillées au bord d’une fosse et le dos tourné à leur meurtrier, ou encore allongées dans celle-ci, sur une « couche de victimes » qui venaient d’être tuées... l’élargissement des victimes est absolument prioritaire et fait sacrifier toute la procédure « classique » d’exécution à l’efficacité et au gain de temps. Ces premiers massacres d’un genre totalement nouveau montre partout une impréparation dans les techniques et dans les méthodes, une grande improvisation, un manque d’apprentissage : tout indique que sur le terrain, personne n’était préparé à ce massacre de masse : il est clair que l’ordre de l’extermination de masse n’est pas venu directement le 22 juin, mais bien quelques semaines plus tard.
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Certes, dès le départ, les Einsatzgruppen de Heydrich pratiquent chaque jour des exécutions, et par centaines. Des pogroms sont organisés, particulièrement efficaces en Ukraine et dans pays Baltes, où les auxiliaires Ukrainiens et Baltes se montrent souvent plus terribles que les SS : mais ce sont toujours, et presque exclusivement, des juifs hommes qui sont fusillés, avec une priorité absolue pour les enseignants, avocats, rabbins, membres de l’intelligentsia, hormis les médecins. De plus, les Einsatzgruppen créent sur leur passage des conseils Juifs, les « Judenrate », édictent des mesures, créent des ghettos : ils frappent et avancent suivant un plan clairement préparé. Seule une petite partie de la population Juive et bolchevique est alors éliminée : Heydrich veut faire vite et véritablement « coller au front », au point de demander le 4 juillet la constitution d’un commando spécial prévoyant de s’occuper de Moscou, le « Vorkommado Moskau ». Les rapports des Einsatzgruppen font état en juillet encore de « transplantation » des populations juives...
Tableau des victimes potentielles des Einsatzgruppen à l’Est |
Ainsi, au départ, les Einsatzgruppen agissent comme les premiers Einsatzgruppen utilisés pendant l'invasion de la Pologne en 1939, accompagnant l’armée d'invasion et accomplissant des tâches comme l'arrestation ou la « liquidation » de prêtres ou autres membres de l'intelligentsia polonaise. Ils ne sont en aucune manière au départ chargés de perpétrer des massacres de masse systématiques.
Les unités mobiles de tuerie, « Einsatzgruppen », juillet - novembre 1941 |
Seul l’Einsatzgruppe A reçoit des ordres différents : il doit agir plus brutalement dans sa zone géographique en vue de la nettoyer plus rapidement : en effet l’Ostland (anciens Pays Baltes) doit être annexé au Reich, et Stahlecker reçoit probablement des ordres plus précis dès le 22 juin 1941. Il s’y emploie d’ailleurs énergiquement, mais la « Liquidation la plus large possible des Juifs » ne signifie pas encore l’extermination totale... Ainsi le 11 juillet il rapporte que 7 800 juifs on été tués dans la région de Kovno, particulièrement par des collaborateurs lithuaniens, mais aussi qu’il a ordonné la fin des fusillades en masse et de ne fusiller des Juifs que dans la mesure où il y aurait des motifs particuliers...
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Les chiffres du Kommando 3 de l’EG A (Jäger) sont d’ailleurs éloquents, montrant un changement radical à partir de la mi-août, où l’on passe véritablement au génocide :
Rapport Stahlecker sur les exécutions :
DATE | Hommes | Dont Femmes | Dont enfants | TOTAL |
Juillet 41 |
4 104 |
135 |
- |
4 239 |
1-15 août 41 |
4 500 (environ) |
250 (environ) |
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4 756 |
16-31 août 41 |
1/3 environ |
1/3 environ |
1/3 environ |
32 430 |
septembre 41 |
15 104 |
26 243 |
15 112 |
56 459 |
Les autres chiffres des rapports des divers Einsatzgruppen montrent eux aussi clairement qu’à partir de la mi-août on passe véritablement à un processus génocidaire :
Groupe | 20 août | 30 septembre | 15 octobre | 2 novembre |
Groupe A | 5.000 | 120.000 | ||
Groupe B | 16.964 | 30.094 | ||
Groupe C | 8.000 | 80.000 | ||
Groupe D | 8.425 | 35.782 |
« Selon toute probabilité, les Einsatzgruppen reçurent au départ la mission d’anéantir dans la mesure du possible les élites juives, et subsidiairement d’asséner un coup sanglant à la population juive en organisant des pogroms. Une escalade commença à se produire un mois plus tard, qui connut un tournant décisif quelque part entre la fin de juillet et la fin d’août lorsque les femmes et les enfants furent inclus dans le massacre... Manifestement, les Juifs payaient de leur vie, en progression géométrique, le prolongement d’une campagne qui aurait dû se terminer en septembre. »Philippe Burrin, Hitler et les Juifs, Seuil 1989, p.128)
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