Le système concentrationnaire nazi
4.2. Les triangles
Le système de l’autogestion contrôlée du camp par les détenus eux-mêmes est construit sur le « Führerprinzip » avec ses « Lagerälterster », « Blockältester », Kapos des commandos de travail : ainsi se développe une hiérarchie semblable à la structure des SS : la SS cherche à attirer les droits communs dans la hiérarchie des détenus, afin de créer une ambiance de conflit permanent avec les politiques… La hiérarchie des Häftlinge s’établit donc assez rapidement :
- La « Lagerprominenz », ou la catégorie des « proéminents » représente 1 à 2% des détenus (Lagerälteste, Blockälteste, médecins, Kapos etc.) ; ce sont principalement des Allemands exerçant quasiment des pleins pouvoirs sur les autres Häftlinge.
- Le « Mittelstand » : ce sont les Häftlinge qui forment la « classe moyenne » : chef de chambrée (Stubenälteste), infirmier (Krankenpfleger), secrétaire de Block, etc.). ils représentent environ 8 à 9% des détenus et ont de bonnes chances de survie...
- Les détenus « normaux » et le « Muselmänner », les « Musulmans », sont la grande masse, ceux qui vivent dans les pires des conditions… Suite à un travail trop dur, au manque de nourriture, aux difficultés d’« organiser », le seul moyen pour eux de survivre est de passer dans la catégorie du « Mittelstand »…
La position du détenu dans le camp est matérialisée par les fameux triangles de couleurs qui permettent immédiatement l’identification du « Häftling » et sa position dans le camp : chaque déporté porte un numéro et un triangle de couleur cousue sur le côté gauche de la veste, la pointe dirigée vers le bas. À Auschwitz, les numéros des déportés sont tatoués sur leur avant-bras gauche..
Le « triangle vert » désigne les « droits commun » : ce sont eux qui fournissent le plus fort contingent de « Proéminents » et souvent les plus sanguinaires. Ce sont principalement des Allemands et des Autrichiens : Les SS confient dès 1938 les fonctions d’encadrement à des déportés dont ils savent qu'ils seront des instruments dociles. En 1944, Himmler expose avec cynisme ce système et son évolution: « Ces récidivistes allemands, quelque 40 000, sont mes "sous-officiers" pour toute cette société. Nous avons nommé là ceux que nous appelons "kapos". Chacun a la responsabilité de 30, 40 ou 100 autres détenus. De la minute où il est kapo, il ne couche plus avec les autres. Il est responsable de l'exécution des travaux imposés, il doit veiller à ce qu'il n'y ait pas de sabotage, qu'ils soient propres, que les lits soient bien faits... Autrement dit, aiguillonner ses hommes. De la minute où nous ne sommes plus satisfaits de lui, il n'est plus kapo, il couche de nouveau avec ses hommes. Il sait alors qu'ils le tueront dès la première nuit... Comme nous n'avons pas assez d'Allemands, on s'arrange naturellement pour qu'un Français soit kapo des Polonais, un Polonais kapo des Russes... de manière à jouer d'une nation contre l'autre. » Ainsi, chacun de ces « droits communs » se prend pour un petit seigneur à l'intérieur du camp. Il peut donner libre cours à tout ce qui lui dicte son idéologie ou ses pulsions agressives ou sadiques à l'égard des sous hommes ou des non-hommes. Le degré de brutalité s'exerce en général du moins au plus par ordre suivant : Europe de l'ouest, Europe du Sud, Polonais, Russes et Slaves de l'Est, homosexuels, Tsiganes et enfin Juifs…
Le « triangle rouge » (la première lettre de la nationalité figure en noir sur le triangle), désigne les politiques, qui parfois, et toujours de longue lutte, parviennent à supplanter les « verts » (Buchenwald) : cela permet dans certains cas des améliorations des conditions de détention. Les autres couleurs des triangles sont le noir pour les « asociaux », le brun pour les Tsiganes, le bleu pour les apatrides, le rose pour les homosexuels et le violet pour les témoins de Jéhovah. Ceux que l'on soupçonne vouloir s'évader portent dans le dos une sorte de cible blanche et rouge peinte ou cousue. Dès le début de la guerre sont internés des « criminels de guerre » portant un « K » dans leur écusson (ils sont rapidement dirigés sur les compagnies disciplinaires). Enfin arrivent les fameux « NN », « Nacht und Nebel », résistants et maquisards, destinés à disparaître, engloutis dans la « nuit et le brouillard… »
La marque naturellement la plus nombreuse est de loin, surimposée sur leur triangle vert, rouge ou noir en sens inverse, pointe dirigée vers le haut, le triangle jaune porté par les Juifs, formant ainsi une étoile à six branches.. Ils fournissent la plus grande partie de ceux qui, à Auschwitz puis dans les autres camps, sont appelés les « musulmans » : particulièrement affaiblis par la faim (la nourriture quotidienne est composée d'une gamelle d'un infâme bouillon et d'un petit morceau de « pain », et représente une ration calorique ne permettant théoriquement pas la survie), les longues séances de l'appel du matin, les déplacements vers les chantiers, un travail harassant et les coups fréquents, ces hommes perdent toute dignité, toute conscience autre que celle de la faim, toute capacité à l'échange et à la pensée. Les Juifs constituent dans les camps la catégorie de « Häftlinge » la plus mal nourrie, la plus maltraitée, la plus soumise aux travaux les plus durs, la plus « sélectionnées » pour les chambres à gaz, les murs d’exécutions ou les potences…