Les « Primitifs » italiens (Histoire de l'art)
2. L’école de Florence
Généralités
Peintres et Å“uvres
2.1. Généralités
2.1.1. Histoire de Florence avant les Médicis
2.1.1.1. Les « libres communes » et les luttes contre l’Empire
Peu après l’an mille, après la période trouble du haut Moyen Âge on assiste à une renaissance progressive des villes, et en Italie, sous « contrôle » du Saint Empire, ce nouvel essor du milieu urbain est plus important qu’ailleurs en Europe : Venise, Gênes, Pise et Amalfi, puis Milan, Bologne, Ferrare, Lucques, et, naturellement, Florence. Ces villes sont à la pointe des progrès, et basent leur développement sur d’importants échanges commerciaux et culturels. Mais leur richesse et leur volonté d’autonomie heurtent la politique de grandeur des Hohenstaufen, et peu après son accession au trône impérial Frédéric I Hohenstaufen « Barberousse » (1155-1190) se rend en Italie à fin de réduire les communes à l’obéissance les armes. Mais sa tentative échoue en 1176 à la bataille de Legnano. La paix de Constance en 1183 octroie aux communes des droits souverains qui en fontde véritables cités-États. A Florence l’organisation politique de la commune semble démocratique, mais certains points demeurent obscurs. La citoyenneté politique n’est pas accordée à tous les habitants de Florence. Qui sont les « citoyens », c’est-à -dire ceux qui choisissent les huit consuls et les membres du Conseil ? En réalité, le pouvoir est exercé principalement par une élite formée de nobles et de riches marchands, qui détiennent le monopole de la culture et influencent toute la vie de la cité.
Florence : le Dôme de Santa Maria précédé du campanile de Giotto |
2.1.1.2. Les Arts Majeurs et les Arts Mineurs
Les Arts jouent un rôle énorme dans la vie économique et civile de Florence. Les Arts sont des corporations libres ; chacune d’entre elles a son capitaine ou « gonfalonier », son blason et son saint patron. Les « Artes Majores » sont au nombre de sept : juges et notaires, drapiers, changeurs, lainiers, médecins et pharmaciens, soyeux et merciers, pelletiers et fourreurs. Les « Artes Minores » sont au nombre de quatorze ; on y trouve entre autres les bouchers, les cordonniers, les forgerons, les hôteliers, les serruriers, les boulangers et les marchands de Vin… Le prestige croissant des corporations témoigne du développement, particulièrement entre le XIIIè et le XIVè siècle, de la classe marchande et des artisans dans différentes villes d’Italie, et en particulier à Florence. La bourgeoisie, qui se donne le nom de « popolo », commence à vouloir compter davantage dans la vie politique de la commune et désire voir diminuer l’influence de la noblesse. Ainsi naissent les institutions populaires. Les habitants de Florence se regroupent par quartiers en vingt compagnies. En cas de conflit, ces dernières constituent une milice populaire : c’est une nouveauté radicale : la noblesse n’a plus à Florence le « monopole » de la guerre.
Florence : le baptistère saint Jean sur la place du Dôme |
2.1.1.3. Guelfes et gibelins
Frédéric II Hohenstaufen, petit fils de Barberousse, empereur germanique et roi d’Italie (1215-1250), ranime le conflit avec la papauté. Aussitôt les communes se divisent et rapidement deux partis s’affrontent : d’un côté les « Guelfes » (francisation du nom italien « Guelfo » qui provient lui-même du nom de la dynastie bavaroise des Welfs), partisans de la papauté, de l’autres les « Gibelins » (du nom du château de Waiblingen en Bade-Wurtemberg, demeure des Hohenstaufen), tenants de la cause impériale. Parmi les Florentins, certains sont guelfes, d’autres gibelins, et les deux « partis » se donnent chacun un siège, une armée, ainsi que des organes politiques. Leur opposition donne lieu à une lutte sans merci qui dure pendant tout le XIIIè siècle et ne cesse qu’au début du siècle suivant. Les Gibelins triomphent dans les années 1240, avec le vicaire impérial Frédéric d'Antioche, bâtard de l'empereur Frédéric II. Les Guelfes sont au pouvoir en 1250 puis en 1266, quand ils prennent Florence avec l'appui de Charles d'Anjou, frère du roi de France appelé comme roi de Naples par le pape. Ces Guelfes sont soutenus par le popolo : ils créent la charge de « capitaine du peuple » en 1250, puis élaborent une nouvelle forme institutionnelle, la seigneurie, en 1282 : un conseil de prieurs, appartenant aux corporations des marchands, les fameux 7 arts majeurs des Arti, auxquels sont juxtaposés un gonfalonier de justice et des gonfalons (étendards) de quartiers, et ce alors que le podestat et le capitaine du peuple continuent d'exister. La faction guelfe se structure, reçoit même, pour les gérer, les biens des 4 000 Gibelins qui ont fui la ville. Dans les années 1290, les lois anti-magnatices entrent en vigueur : c'est la revanche des corporations de marchands qui interdisent aux nobles l'accès aux charges et limitent la taille des tours qu'ils avaient érigées. Le « parti » guelfe se divise alors en deux factions : les « Noirs » et les « Blancs ». Cette division reflète la rivalité entre deux groupes d’importantes familles de la classe dirigeante : d’une part les Donati et les Spini (les Noirs), de l’autre les Cerchi et leurs partisans (les Blancs). L’enjeu est le gouvernement de la ville. Les Noirs sont soutenus par le pape Boniface VIII ; les Blancs, eux, n’ont pas de protecteur aussi puissant.
2.1.1.4. Le gouvernement des prieurs
Les luttes entre partis conduisent au déclin des systèmes démocratiques et à la naissance des « seigneuries », une forme de gouvernement basée sur le pouvoir exclusif d’une famille, sur la suprématie d’un « seigneur ». A Florence, le terme « seigneurie » n’indique pas un pouvoir personnel, mais désigne le nouveau gouvernement de la ville, une émanation de la bourgeoisie : celui des « prieurs ». Les Prieurs sont huit en tout, dont six représentent les Arts Majeurs et les deux autres les Arts Mineurs. Ils élisent leur « gonfalonier », dont le rôle est de simple représentation. Pour gouverner, les prieurs sont tenus de consulter deux Conseils : les « Douze Buonomini » et les « Seize Gonfaloniers ». Parmi les autres magistratures collectives, les « Huit de Garde » forment une véritable police secrète, tandis que les « Six du Commerce » veillent sur les activités économiques.
Florence : la façade de Santa Maria Novella |
Ce système est la porte ouverte au gouvernement personnel : ainsi Charles de Calabre gouverne la villeen 1323, suivi par le duc d'Athènes en 1343. Florence connaît une véritable crise au milieu du XIVe siècle : révolte du peuple, faillite des Peruzzi (grande banque) en 1343 et peste noire qui fait disparaître la moitié de la population en 1348.
2.1.1.5. La révolte des « Ciompi »
En 1378, quelques années avant l’apparition des Médicis sur la scène politique et économique de Florence, se produit un événement significatif qui pend le nom de « révolte des Ciompi ». Les « Ciompi » sont des salariés des corporations artisanales, en particulier ceux de la laine. Cette masse de salariés est exclue du gouvernement mais doit affronter une situation économique désastreuse. Les « Ciompi » obtiennent que Michele di Lando, le chef, soit élu gonfalonier et la création de trois nouveaux Arts Mineurs, dont les représentants participent désormais au gouvernement. Cependant la nouvelle orientation politique est en butte à l’hostilité des grands marchands qui prennent dfes mesures contre les ouvriers. Aussi le mouvement se radicalise, mais les « Ciompis » sont abandonnés et trahis par Michele di Lando, qui passe dans l’autre camp : le 31 août, il attire les « Ciompis » dans une piège et les émeutiers sont massacrés sur la place de la Seigneurie dont toutes les voies d’accès ont été bloquées. Quatre ans plus tard, tous les Arts Mineurs, les plus anciens comme les plus récents, sont supprimés. La triste fin de la cause populaire a une signification politique précise : La grande bourgeoisie marchande et financière domine désormais la ville ; et d’ici peu, c’est de ses rangs que sortira la famille destinée à gouverner Florence : les Médicis.
Florence : le Palazzo della Signoria (Palais de la Seigneurie), appelé aussi Palazzo Vecchio |
2.1.2. Les débuts de l’école de Florence
A Florence, le grand chantier du début du XIIè siècle est le Baptistère. Au XIIIè siècle, il est décoré de mosaïques par des « maîtres grecs », comme les appelle Vasari, venus de Venise, et des artistes locaux. Parmi eux, Coppo di Marcovaldo. C’est sans doute lui qui en réalise entre 1260 et 1270 Le Christ du « Jugement dernier », mosaïque extrêmement riche, indubitablement innovante d'un point de vue iconographique, citée parmi les chefs-d’œuvre du XIIIe siècle. C’est la première aspiration, encore incertaine, à se détacher des modèles byzantins et à rétablir un rapport plus direct entre l'artiste et le monde des apparences sensibles.
Florence : les mosaïques du Baptistère saint Jean. Vers 12501270 |
Suivant l'exemple de Coppo di Marcovaldo, Cimabue est amené à donner une évidence nouvelle aux silhouettes archaïques et contournées des « Christi patientes », à discipliner le besoin d'expression inhérent à sa puissante individualité. Après son monumental crucifix de San Domenico d'Arezzo, il part à Rome en 1272 : il y entre en contact non seulement avec le monde classique, mais aussi avec les représentations nerveuses et pathétiques de la latinité tardive et avec la peinture paléochrétienne et romane : il se libère peu à peu de l'automatisme graphique et métaphorique de la tradition byzantine et découverte une « vérité » plus profonde et ancienne : c'est la Maestà du Louvre qui évoque la sculpture de Nicola Pisano ; c’est la célèbre Maestà des Offices (autrefois à l'église de la Sainte-Trinité de Florence), où l'ancien hiératisme byzantin se transforme en monumentalité architectonique où le dessin se fait rapide et incisif et confère un dynamisme ardent aux figures. Suivent les fresques du transept de la basilique supérieure d'Assise où les personnages acquièrent l'évidence grave et robuste de la sculpture romane ; Cimabue y réalise à la fois une synthèse grandiose de l'Orient byzantin, conclusion du monde figuratif médiéval, mais en même temps, par la prépondérance du dessin et du relief sur les valeurs purement chromatiques, il prépare la base du langage pictural de Giotto.
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2.1.3. Le rôle de la fresque
Déchues de leur rôle impérial, les augustes mosaïques font désormais place aux humbles fresques. C’est une révolution. La pensée philosophique en s'affranchissant donne droit de cité à des fresques plus expressives. De bourgs en châteaux, sur la toile de fond du panorama latin, la peinture murale va fleurir jusqu'à la haute Renaissance. Aucune province n'engendra autant de fresquistes que la Toscane.
La peinture à fresque, la vraie, est une technique rapide. Le travail préparatoire, la pensée artistique qui sous-tend l'œuvre, l'exécution des dessins préliminaires, tout cela prenait du temps, mais la rapidité d'exécution dépend des vingt-quatre heures, des quelques jours au plus pendant lesquels l'« intonaco » (le plâtre) demeure assez humide pour absorber la peinture. Lorsqu'il avait séché, on pouvait encore appliquer des touches de surface à secco, mais on savait qu'elles étaient moins durables que la couche de peinture initiale.
2.1.4. Giotto di Bondone
Comme Dante en poésie, dans ses grandes compositions franciscaines à fresque d’Assise, de Padoue et de Florence Giotto prend ses distances avec l’art byzantin et porte à maturation le processus de renouvellement du langage pictural italien. Disciple de Cimabue, mais également formé à Rome sur les modèles du classicisme byzantin intégré dans la peinture romane médiévale, il n’ignore par ailleurs rien de la sobriété de la sculpture romane, ni de la dynamique linéaire de l'art gothique. Les éléments de l'action se situent dans l'espace et d'après une échelle proportionnée au cadre architectural. Tons simples, formes étoffées de draperies dans des constructions synthétiques, tout paraît naturel. Le souffle qui anime ces compositions marie le paysage montagneux au paysage architectural.
La représentation des événements et des sentiments est confiée à l'éloquence visible des gestes des personnages ; par la simplicité de leurs élans naturels, ceux-ci acquièrent cette matérialité physique qui leur confère une force de persuasion, cet accent de profonde « vérité » qui est intimement lié, d'autre part, à une constante recherche de densité plastique dans la traduction des volumes.
Cependant, en soumettant ses personnages à la volonté divine, Giotto, qui triomphe le premier de la « manière grecque » et ouvre la voie à tout l'art moderne, reste profondément médiéval et, comme Dante, participe du climat spirituel du gothique et de la scolastique. En effet, il semble, par le fait même de les découvrir, admettre l'homme et la nature dans le « ciel des universaux », et le drame humain est par lui constamment reconduit sous le signe de la transcendance divine.
Giotto : Scènes du Nouveau Testament : la Résurrection, détail. 1290s. Fresque. Assise, église supérieure Saint François |
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