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Les « Primitifs » italiens (Histoire de l'art)

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1. Généralités

Introduction
Les principes novateurs
Un nouveau langage pictural : le Decento et le Trecento

1.3. Un nouveau langage pictural : le Decento et le Trecento

1.3.1. Les précurseurs

Dans la peinture, la rupture avec la tradition byzantine et la création d'un nouveau style naturaliste intervinrent avec beaucoup plus de difficulté et avec un retard sensible sur la sculpture. Cette rupture est le fait de quelques grandes personnalités créatrices de la seconde moitié du XIIIè siècle, et ce n’est véritablement qu’au XIVè siècle que la révolution s’impose. En effet, la « Manière grecque » continue à se répandre dans la péninsule, de Venise à la Sicile, durant tout le XIIIè siècle, revigorée par les conséquences du sac de Constantinople en 1204 par les croisés : un afflux de richesses, mais aussi d’artistes grecs en Italie.

Cependant, bien avant les grands peintres du XIIIè siècle, Cimabue, Giotto, Duccio, les premiers ferments d'un renouvellement qui plonge ses racines dans peinture classique et paléochrétienne se font jour dès le XIè :

  • c’est le cas des fresques de l'église inférieure de Saint Clément à Rome (environ 1080) ;
  • c’est le cas dans le plus grand chantier « byzantinisant » d’Italie au XIIè, la décoration en mosaïque à partir de 1159 de la basilique Saint Marc à Venise où collaborent les maîtres locaux et des artisans venus d’Orient : on y décèle la persistance de forts accents paléochrétiens, de nombreux éléments préromans et romans, une plus grande liberté et une particulière richesse en motifs ethniques et historiques, ajoutés aux thèmes théologiques et liturgiques grecs traditionnels : à Venise, s’expriment en langage byzantinisant des motifs occidentaux, plus proches du « speculum mundi » d'une cathédrale occidentale que d’une église grecque.
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  • C’est enfin le cas, à Rome encore, de la solennelle composition en mosaïque décorant l'abside de Sainte Marie du Transtevere (1145 environ), qui, en dépit de son caractère très byzantin, prélude, par la royale et majestueuse humanité des personnages, au style pictural grave et monumental que Pietro Cavallini mettra un Å“uvre au siècle suivant.
    • Intérieur de Saint Marc de Venise, d’après une peinture du XVIIè siècle
      Intérieur de Saint Marc de Venise, d’après une peinture du XVIIè siècle

1.3.2. Le rôle de la Toscane

C’est en Toscane, au début du XIIIè siècle, que le nouveau langage pictural va éclore par la conjonction des courants de culture les plus variés. Et plus précisément dans quatre « communes » : Lucques, Pise, Sienne et surtout Florence : les deux dernières vont atteindre leur plus grande splendeur durant la première moitié du XIVè siècle et dominer le panorama de la peinture italienne de tout le siècle.

1.3.2.1. Lucques

Dès la fin du XIIè siècle, Lucques produit quelques crucifix peints, dans lesquels est repris le thème occidental du Christ vivant, dans la veine de la simplicité et la robustesse romanes. Ainsi la croix de maître Guglielmo, signée et datée de 1138, qui se trouve au dôme de Sarzana.

le Dôme de Lucques
le Dôme de Lucques

Dès le début du XIIIè siècle, une famille de peintres, les Berlinghieri, travaille à Lucques et se montresensible à la nouvelle vague de mode byzantine qui pénètre dans la péninsule suite à la de la prise de Constantinople par les croisés.

1.3.2.2. Pise

République maritime, Pise entretient avec l’Orient de très bons rapports et devient rapidement un centre d’expansion d’une culture raffinée et princière. Quelques artistes excellent dans la veine byzantine, dont l’iconographie reste dominante mais à laquelle ils ajoutent une note plus humaine, plus pathétique, beaucoup plus proche de l’esprit franciscain que de l’héroïsme triomphant de l’Orient : ainsi la figure du « Christus patiens », le Christ souffrant, s’impose de plus en plus chez Giunta Pisano, Enrico et Ugolino di Tedice, le « Maître de San Martino »… L’œuvre emblématique était le crucifix peint de Giunta Pisano en 1236 sur commande de frère Elie le fondateur de la basilique de Saint François d'Assise.

Ugolino Di Tedice : croix et Christ crucifié. 1260-1265. Tempera sur bois, 62 x 90 cm. Saint-Pétersbourg, musée de l’Ermitage
Ugolino Di Tedice : croix et Christ crucifié. 1260-1265. Tempera sur bois, 62 x 90 cm. Saint-Pétersbourg, musée de l’Ermitage
Enrico Di Tedice : croix et Christ crucifié. 1250. Tempera sur bois, 267 x 210 cm. Pise, museo nazionale di San Matteo
Enrico Di Tedice : croix et Christ crucifié. 1250. Tempera sur bois, 267 x 210 cm. Pise, museo nazionale di San Matteo

1.3.2.3. Florence

Florence voit au début du XIIIè se développer un grand chantier : celui du décor du baptistère saint Jean, à côté de la future cathédrale santa Maria dei Fiore. Dans la grande mosaïque du baptistère, des « maîtres grecs » de Venise et des artistes locaux commencent à s’éloigner du maniérisme byzantin. L’un d’eux, Coppo di Marcovaldo réalise entre 1260 et 1270 le Christ du « Jugement dernier », mosaïque extrêmement riche, indubitablement innovante d'un point de vue iconographique, citée parmi les chefs-d’œuvre du XIIIe siècle. Ce n’est pas encore la création d'un langage nouveau, mais une aspiration encore incertaine à rétablir un rapport plus direct entre l'artiste et le monde des apparences sensibles.

Coppo di Marcovaldo : Tableau processionnel de sainte Agathe. Vers 1240-1260. Tempera sur bois. Florence, Museo dell’Opera del Duomo
Coppo di Marcovaldo : Tableau processionnel de sainte Agathe. Vers 1240-1260. Tempera sur bois. Florence, Museo dell’Opera del Duomo

Suivant l'exemple de Coppo di Marcovaldo, Cimabue donne une évidence nouvelle aux silhouettes archaïques et contournées des « Christi patientes ». Après son monumental crucifix de San Domenico d'Arezzo et un séjour à Rome, en 1272 où il découvre non seulement le monde classique, mais aussi les représentations nerveuses et pathétiques de la latinité tardive et la peinture paléochrétienne et romane, il se libère de l'automatisme graphique et métaphorique de la tradition byzantine et redécouvre une « vérité » plus profonde et ancienne : c'est d’abord la Maestà du Louvre, jadis à Pise, qui semble étudiée sur des marbres antiques, puis la célèbre Maestà des Offices (autrefois à l'église de la Sainte-Trinité de Florence), où l'ancien hiératisme byzantin se transforme en monumentalité architectonique au dessin rapide et incisif et confère un dynamisme ardent aux figures. Suivent les fresques du transept de la basilique supérieure d'Assise, avec une extraordinaire puissance d'invention, où les personnages ont l'évidence grave et robuste de la sculpture romane.

Cimabue. Crucifix (détail) ; 1268-1271. Tempera sur bois. Arezzo, San Domenico
Cimabue. Crucifix (détail) ; 1268-1271. Tempera sur bois. Arezzo, San Domenico

L’étape décisive dans le cheminement de la peinture occidentale est franchie par un artiste de génie florentin, Giotto di Bondone (1266-1337) : dans les « Histoires franciscaines » de la basilique de Saint François à Assise, c’est la première fois qu'un thème de caractère sacré est interprété avec autant de chaleur humaine, sans pour cela sombrer dans l'illustration anecdotique, intégrant l'expérience franciscaine dans le circuit vivant et permanent de la sensibilité humaine, de la simplicité des élans naturels… Par une interprétation nouvelle, les éléments de paysage et de décor ne sont plus stylisés de manière abstraite, ou choisis dans une intention symbolique, mais puisés, sans idées préconçues, dans la réalité.

Giotto est encore plus grand, plus défini et rigoureux dans la concision, plus fondu et lié dans l'articulation des compositions dans la chapelle de l’Arena à Padoue ; l’homme y acquiert la prééminence absolue, laissant clairement augurer ce que sera le caractère essentiel de l'art toscan de la Renaissance, même si cet homme reste instrument d'une volonté divine toute puissante, mais elle aussi beaucoup plus humaine que les Christ hiératiques de Byzance…

Giotto, le premier, triomphe de la « manière grecque » et ouvre la voie à tout l'art moderne, tout en restant profondément médiéval et, comme Dante, imprégné du climat spirituel du gothique et de la scolastique.

Scènes de la vie de Joachim : rejet du sacrifice de Joachim. 1304-1306. Fresque, 200 x 185 cm. Padoue: la chapelle Scrovegni ou chapelle de l’Arena
Scènes de la vie de Joachim : rejet du sacrifice de Joachim. 1304-1306. Fresque, 200 x 185 cm. Padoue: la chapelle Scrovegni ou chapelle de l’Arena

1.3.2.4. Sienne

Sienne emprunte un chemin différent de Florence : Duccio di Buoninsegna le fondateur et chef d’école, ne transpose pas l’« art de peindre du grec en latin » (comme l'écrivit le théoricien Cennino Cennini à propos de Giotto), mais continue, dans un certain sens, il de « parler grec ». Dans son chef d’œuvre, la Maestà du dôme de Sienne, il renonce rarement aux anciens schémas iconographiques de la tradition byzantine. Mais il les régénère par une conscience extrêmement lucide de la signification stylistique et de la fonction poétique de chacun des éléments particuliers dont ils se composent : il sait susciter une mystérieuse résonance autour d'un geste, d'un personnage, d'un épisode, et outrepasser ainsi les limites de l’illustration ; la distinction suprême des figures et leur serein accord avec le paysage ou l'entourage donnent un ton lyrique et raffiné à la méditation de Duccio, très différente, sinon à l'opposé de celle de Giotto.

Duccio di Buoninsegna : la Maestà, face avant, détail : fragment fronton central de la Maestà surmontant le panneau central.1308-1311. Tempera sur bois, 51,5 x 32 cm. Budapest, Museum of Fine Arts
Duccio di Buoninsegna : la Maestà, face avant, détail : fragment fronton central de la Maestà surmontant le panneau central.1308-1311. Tempera sur bois, 51,5 x 32 cm. Budapest, Museum of Fine Arts

Enfin Duccio assimile un élément stylistique purement occidental au cosmopolitisme orientalisant, qu’il emprunte à l'œuvre de Guido da Siena, mais aussi aux calligraphies de la miniature française et aux rythmes fluides des statues de Giovanni Pisano : le goût de la ligne flexible et sinueuse, propre au gothique. Cette sensibilité linéaire va caractériser désormais presque toute la production picturale de Sienne.

Simone Martini, le second des grands maîtres siennois fait de la ligne l'élément fondamental de son langage d’une exquise poésie et d’une élégance vive et précieuse dans ses chefs-d’œuvre comme la Maestà, le retable de Saint Louis de Toulouse couronnant Robert d'Anjou, le retable du bienheureux Agostino Novello, les fresques de la vie de saint Martin dans la basilique inférieure d'Assise.

Simone Martini : le Miracle de l’enfant ressuscité, détail. 1312-1317. Fresque, 34 x 34 cm. Assise, chapelle Saint Martin, église inférieure Saint François
Simone Martini : le Miracle de l’enfant ressuscité, détail. 1312-1317. Fresque, 34 x 34 cm. Assise, chapelle Saint Martin, église inférieure Saint François

Le réalisme des Siennois se maintient toujours dans une atmosphère de poésie, tant en raison du choix extrême des moyens stylistiques - la ligne et la couleur - que parce qu'à l'origine de ce réalisme il y a un sentiment d'ouverture infinie sur le monde et ses apparences sensibles, sentiment exprimé par les peintres siennois dans le statut de leur corporation : « Nous sommes, par la grâce de Dieu, ceux qui manifestent aux hommes grossiers, qui ne savent pas lire, les choses miraculeuses opérées par vertu, et en vertu de la sainte foi » (1355).

Ce réalisme atteint son sommet avec le cycle des « Allégories et Effets du bon et mauvais gouvernement » du Palais public de Sienne où Ambrogio Lorenzetti offre une image palpitante des aspects et de la vie de sa cité. Les vérités morales et les avertissements politiques et civiques qu'il propose sous la forme d'images figurées visent réellement à transposer dans un climat de méditation imbue de sagesse antique les fraîches observations que le peintre recueille en portant un regard neuf sur le monde qui l'environne.

Ambrogio Lorenzetti : Les effets du bon gouvernement sur la vie de la cité (détail). 1338-1340.Fresque. Sienne, Palais Public
Ambrogio Lorenzetti : Les effets du bon gouvernement sur la vie de la cité (détail). 1338-1340.Fresque. Sienne, Palais Public

1.3.3. Rome

Hors de Toscane, Rome, n’est pas en reste : à la fin du XIIIè siècle, surgit une autre grande figure de peintre : Pietro Cavallini. Héritier des courants locaux encore mêlés à l'art paléochrétien et, par l'entremise de celui-ci, à l'art antique, Cavallini donne une forme et un idéal de beauté mesurée et majestueuse à une peinture d'intonation noblement cultivée. Dans les mosaïques de l'abside de Sainte Marie du Transtevere (1291), à travers les conventions byzantines, il recherche la vraisemblance dans la perspective des édifices du fond, et le rythme aisé et calme suivant lequel les figures viennent s'y disposer. Dans la grande fresque fragmentaire du Jugement dernier à Sainte-Cécile du Transtevere (environ 1293), Apôtres et des Anges réunis autour du Christ sont réalisées avec une extraordinaire richesse d'empâtements chromatiques, alors que dans chacun des personnages se reflète le même sentiment d'imperturbable grandeur. L'œuvre de Cavallini aura de profonds retentissements dans la peinture romaine et napolitaine vers la fin du XIIIè siècle et aux premières décennies du XIVè siècle.

mosaïques de l’abside de Sainte Marie du Transtevere, fin XIIIè
mosaïques de l'abside de Sainte Marie du Transtevere, fin XIIIè

1.3.4. Conclusion

Même si les courants complexes de la peinture italienne du Trecento ne sont pas tous tributaires des écoles florentine et siennoise, celles-ci, jusqu'aux plus lointaines régions italiennes, suscitèrent le renouvellement pictural ; quelques décennies à peine, au début du XIVè siècle, celles de Giotto, Duccio, Simone Martini et des Lorenzetti suffisent à déterminer la physionomie de la peinture italienne de tout le siècle.

La langue que les maîtres d'alors parlent les premiers, leur « langue vulgaire » (volgare), celle des Pisani pour la sculpture et celle d'un Dante, d'un Pétrarque, d'un Boccace, correspond si intimement à leur élévation spirituelle et à leur très forte individualité qu'employée par d'autres elle ne pouvait que se muer en dialecte pittoresque. Seuls quelques génies, tels Masaccio, Piero della Francesca ou Donatello, pourront encore, à un siècle de distance, en recueillir légitimement l'héritage pour le porter vers de plus hautes destinées.

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