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La déportation en France, témoignages…

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4. Le petit couteau d’Aloïs Brunner

17 décembre 1943,  vers midi.

Nous venons de quitter Drancy et nous sommes alignés sur le quai de la gare de Bobigny. Je suis au premier rang, entre mes deux meilleurs amis. A ma gauche, Maurice Fainstein, dit Momo, de Montreuil-sous-Bois, et à ma droite François Sandler de Lyon. Devant nous, un train de marchandises, et tout le long des soldats S.S. armés de mitraillettes. Puis, nous voyons arriver, marchant lentement, Aloïs Brunner, suivi de deux officiers S.S.

Je l'avais déjà vu à Drancy où j'ai passé environ quinze jours. La nuit précédente, dans l'immense salle dans laquelle nous dormions pour la dernière fois à Drancy, pêle-mêle hommes, femmes et enfants, une jolie jeune femme blonde, vêtue d'un manteau de fourrure qui était installée à proximité de notre groupe, se leva vers minuit. Elle nous dit que Brunner l'attendait dans son bureau, et lui avait promis de ne  pas faire partie de ce convoi, elle et sa mère. Elle est revenue, deux heures plus tard, en sanglotant. Le lendemain, elle était sur le quai avec sa mère.

Donc, Brunner nous tient un discours, traduit instantanément par un civil, pour nous avertir que si quelqu'un tentait de s'évader, tous les autres occupants du wagon seraient exécutés. De même il nous avertissait qu'il était interdit d'emporter dans ses bagages tout couteau ou autre objet pointu en métal, permettant éventuellement d'attaquer le plancher du wagon, et qu'il était encore temps de les remettre spontanément. Et il se mit à ouvrir au hasard, des bagages et sacs à provisions. Il s'arrêta devant mon ami Français Sandler, se pencha et ouvrit son sac et se mit à le fouiller. En sortit un petit couteau à éplucher des pommes de terre. Se releva, un sourire sarcastique aux lèvres et approcha le petit couteau des yeux de mon ami François, allant à toute vitesse d'un oeil à l'autre, comme s'il allait les lui crever. Et tout à coup, d'un geste précis et rapide lui trancha plus de la moitié de l'oreille gauche, et remit le couteau à l'un des deux sbires qui l'accompagnait. Le sang dégoulinait abondamment sur le côté gauche de François, mais personne n'osait bouger, et quelques instants plus tard nous sommes montés dans le wagon. Bien sûr dès que le train partit, on enmaillotta l'oreille de François dans un morceau de chemise. L'image de cette oreille qui pendait, je n'ai jamais réussi à l'oublier.

François n'a pas tenu très longtemps à Monovitz, où il est mort après son admission au KB. Mon ami Maurice Fainstein, qui avait fait sauter le local de Jacques Doriot à Nice, et avait pratiquement été arrêté par la foule, avait été emprisonné avec moi à la prison de Nice, où nous avons passé trois mois ensemble. Il est mort de faiblesse, dans mes bras, totalement épuisé, au courant du mois de mai 1944. Sa soeur m'a écrit plusieurs fois, après mon retour à Thionville, ainsi que la femme de François. Je possède toutes leurs lettres, mais rien n'était aussi pénible que d'annoncer à quelqu'un la mort d'un proche dans un camp. D'autant plus pénible que ces personnes voulaient des détails sur cette mort, espérant toujours que je pouvais peut-être me tromper, et cet espoir qui ne les quittait pas, me mettait dans un état lamentable.

Déjà le leur dire était difficile, mais presque exiger de moi des détails était au-dessus de mes forces, car les images que j'ai conservées des derniers moments de Momo étaient douloureuses. Il avait tellement maigri, et ses yeux, à travers ses lunettes rafistolées avec du fil de fer, étaient si remplis de tristesse que c'était difficilement supportable.

Voilà comment sont partis, pour ne plus revenir, par le convoi n° 63, mes deux derniers amis, venus avec moi sur ce quai de la gare de Bobigny, pour assister à cet acte de sauvagerie barbare d'Alois Brunner.

     Ils sont toujours présents dans ma mémoire.

Serge Smulevic, rescapé d’Auschwitz.

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