L’Alsace au XVIè siècle
2. Histoire politique
La guerre des paysans
Le morcellement territorial
2.2. Le morcellement territorial
La révolte des paysans n'a aucune répercussion sur la situation politique et les destinées de la province. Le pays conserve de nombreuses seigneuries laïques et ecclésiastiques. Les deux Landgraviats se maintiennent, celui de Haute Alsace aux Habsbourg, celui de Basse Alsace (qui n'est plus qu'un simple titre), aux Évêques de Strasbourg.
L’empereur possède le Grand Baillage de Haguenau en Basse Alsace (la ville et 40 villages alentour), les 10 villes impériales (Décapole) ; le Grand Baillage est souvent engagé (Habsbourg 1504, Electeur Palatin, Habsbourg en 1557, qui tentent d'en faire une possession familiale).
Pour ce qui est des autres possessions, l’Alsace est une véritable mosaïque.
2.2.1. La Haute Alsace
Moins morcelée que la Basse Alsace à cause de l’ancien héritage des Ferrette passé aux mains des Habsbourg, la Haute Alsace est partagée entre quelques grands seigneurs et de puissants dignitaires ecclésiastiques :
- La maison des Habsbourg possède le Sundgau (Seigneuries de Ferrette, Altkirch, Thann, Rougemont, Belfort, Ensisheim, Cernay, Bollwiller) jusqu'au portes de Colmar, la Seigneurie de Hohlandsbourg (acquise en 1563 par le baron Lazare de Schwendi), Kientzheim et le Val de Villé. Mais beaucoup de ces seigneuries sont engagées à différents nobles. Le pays est administré par un Landvogt, auquel est adjointe en 1523 une régence civile et judiciaire installée à Ensisheim, et en 1570 une chambre des finances.
- Les seigneurs de Ribeaupierre sont très puissants au XVIè et leur domaine s'étend de Sainte Marie à la Vallée de Munster.
- Les seigneuries ecclésiastiques sont celles de l'abbé de Murbach (Vallée de Guebwiller et de Saint Amarin), celles de l'abbé de Munster et celles de l'évêque de Strasbourg (Mundat supérieur avec Rouffach).
- les comtes de Wurtemberg régissent le pays de Montbéliard et la région de Riquewihr et Horbourg.
2.2.2. La Basse Alsace
Le morcellement y est bien plus poussé : les seigneurs les plus importants sont l'évêque de Strasbourg, les comtes de Hanau-Lichtenberg, la ville de Strasbourg, les villes impériales, les seigneurs de Fleckenstein et la chevalerie immédiate d'empire : Andlau, Ratsamhausen, Landsberg, Bergheim, Boecklin de Boecklinsau, Zorn, Müllenheim...
2.2.3. La décapole
Elle existe toujours, mais doit se défendre contre les Habsbourg. Mulhouse, trop menacée, s'affilie à la Confédération Helvétique en 1515 ; Landau était entrée dans la décapole dès 1511. Au XVIè, la décapole doit encore surmonter la crise religieuse ; elle y parvient, sauvegardant son unité.
2.2.4. Les états provinciaux d’Alsace
La division territoriale, les dangers extérieurs, la faiblesse de l'Empereur provoquent un rapprochement des diverses puissances alsaciennes. Ainsi naît au début XVIè une nouvelle institution, les « États Provinciaux » (« Landstände »).
Ceux de la Basse Alsace se réunissent pour délibérer de leurs intérêts communs, suivis par ceux de Haute Alsace sous l'égide de la maison d'Autriche. Finalement les deux Etats se réunissent en un seul en 1528 à Haguenau, et dans les années suivantes l'institution continue à se développer. Les états comprennent toutes les puissances immédiates d'empire, les princes et seigneurs laïcs ou ecclésiastiques et les villes.
Bientôt les Etats deviennent une institution permanente qui, bien que non reconnue officiellement et malgré les dissensions religieuses, donne à la province une véritable personnalité politique. Les Habsbourg et les Evêques de Strasbourg convoquent les Etats pour la Haute et Basse Alsace et leur action se manifeste dans plusieurs domaines : maintenir la paix publique, conjurer les dangers extérieurs, entretenir des troupes, promulguer des règlements de police dans les domaines économiques, financiers et judiciaires (salaires, prix du blé, mesures anti-mendiants ou anti-alcooliques).
Pendant près d'un siècle les Etats exercent une activité très bénéfique. Malheureusement l'institution sera ruinée par la guerre de Trente Ans.
2.2.5. L'apogée de Strasbourg
Au début du XVIè, la ville de Strasbourg est à son apogée. Sa constitution se développe avec son magistrat et son conseil, le collège des échevins et diverses commissions. La ville est dirigée avec prudence par le patriarcat d'affaires. Vers l'extérieur, la « République » sait se faire respecter, justifiant l'éloge d'Erasme à Wimpfeling en 1514 : « J'ai vu une monarchie sans tyrannie, une aristocratie sans factions, une démocratie sans désordre, de la richesse sans le luxe, le bonheur sans l'orgueil. Peut-on imaginer bonheur plus grand que cette harmonie ? »
2.2.5.1. Humanisme et renaissance
Depuis le XVè la ville est devenue un centre d'humanisme, de savants, d'artistes. Le plus célèbre est incontestablement Jean Gutenberg. La réforme s'introduit rapidement dans la cité : dès 1529 la doctrine de Luther est adoptée officiellement. Mais la ville accueille aussi les adeptes de différentes tendances protestantes (Calvinistes).
L'instruction se développe rapidement. La renaissance produit de belles demeures : Hôtel de Ville (Chambre de commerce), Grande boucherie (Musée Historique) et de nombreuses maisons patriciennes.
L'excellente situation financière, le développement de l'artisanat, le commerce et les affaires économiques procurent à la ville un grand essor économique. Cette brillante situation, la ville en est redevable à l’un de ses plus remarquables citoyens, Jacques Sturm de Sturmeck.
2.2.5.2. Jacques Sturm de Sturmeck : 1489 - 1553
Issu d'une vieille famille strasbourgeoise, Sturm possède une remarquable culture humaniste. Dès 1524 il est membre du conseil et de divers collèges, et joue un rôle prépondérant dans la direction des affaires municipales, notamment dans la question de l'enseignement. Dès 1526 il est élu « Stettmeister » et let sera encore à diverses reprises. Pendant de longues années, il représente la ville dans toutes les conférences politiques et religieuses et se distingue par sa politique mesurée et habile, par son idéalisme et la hauteur de ses vues. Il défend la ville avec succès, mais devient aussi l'orateur d'autres cités, assurant ainsi à Strasbourg un rôle de chef de file.
Or les temps sont difficiles : Réforme, lutte entre la maison des Habsbourg et la France... Strasbourg adhère à la ligue de Smalkade en 1530 et négocie une alliance avec François Ier. Mais en 1547 Charles Quint bat la ligue, mettant Strasbourg dans une situation délicate. Grâce à l'habileté de Sturm lors de la négociation de Nördlingen, la ville garde tous ses droits. Eu 1552 quand Henri II de France, allié à la ligue prend Metz, Toul et Verdun puis s'avance jusqu'à Brumath, la ville reste fidèle à l'Empereur et ferme ses portes au roi qui rebrousse chemin.
Jacques Sturm meurt en 1553 à Breuschwickersheim dans un semi exil. Fondateur de la grandeur de la cité, il fut un brillant personnage qui domina toute son époque.
Malheureusement après sa mort la ville décline rapidement, en raison de la guerre dite « du Grand Chapitre » (1583ss), de l’intransigeance d’une nouvelle classe politique montante ultra-luthérienne et de la « Guerre des Evêques » (1592-1604) qui entraîne la ruine financière de la ville.
2.2.6. Vie économique et sociale
L'Alsace profite grandement de l'essor du commerce qui caractérise le début des Temps Modernes. Tous sont unanimes pour faire l'éloge de l'Alsace, de sa prospérité, de sa richesse. Ainsi le « Weltbuch » de Sébastien Franck (1534) ou la « Cosmographie » de Sébastien Munster (1552 éd. française), ou encore les éloges de Wimpfeling, Matthias Ringmann Philesius, Bernard Hertzog, Blinde Rösslin qualifiant le pays de « Edelsass »...
2.2.6.1. Agriculture
Elle est une des plus riches de l'Europe. Les céréales font l'objet d'exportations florissantes. Les cultures maraîchères dominent dans la région de Strasbourg, Colmar et Sélestat, ainsi que les plantes industrielles (Colza, chanvre, lin). Arbres fruitiers et châtaigneraies donnent de bonnes récoltes. Tous ces produits sont vendus en Saxe, Thuringe, Hollande et Angleterre. La vigne maintient au plus haut niveau sa qualité et sa renommée européenne.
Le gros bétail est élevé dans le Sundgau et les Hautes Vosges où l'on pratique l'alpage et où l’on fabrique le fromage de munster, déjà réputé. Chevaux, ovins et porcins sont élevés dans tout le pays.
2.2.6.2. Mines et artisanat
A la fin du XVè sont redécouvertes les mines d'argent de la vallée de Sainte Marie. Elles avaient été abandonnées au XIVè à cause des difficultés techniques. Mais au XVIè fonctionnent 67 mines et 10 fonderies. Plus de 2 000 mineurs y travaillent et la ville de Sainte Marie prend naissance. On trouve aussi dans la vallée du plomb, cuivre et cobalt.
Les gains reviennent aux Habsbourg et aux Ribeaupierre pour la partie sud, et aux ducs de Lorraine pour la partie nord. Rapidement les mineurs forment la corporation des « Knappschaft » avec ses coutumes et son juge, le « Bergrichter ».
Vers la fin du XVIè, le rendement minier commence à baisser. Quant au fer, il est exploité à Giromagny, Framont sur Bruche et en Alsace du nord.
L'artisanat produit pour les besoins de la population et pour l'exportation tissus, cuirs, armes, vaisselle, bijoux, livres...
L'organisation reste corporative, mais de plus en plus conservatrice : les corporations deviennent de vrais organes politiques et administratifs : ainsi à Strasbourg il n'y a plus que 20 corporations en 1482 et 10 à Colmar en 1521. Une aristocratie artisanale maintient ses prérogatives et rend difficile l'accès à la maîtrise. Bien des compagnons restent ouvriers alors que la maîtrise est largement ouverte aux fils des maîtres ou à des compagnons ayant épousé la fille d'un maître. Cependant la corporation forme une classe stable et solide qui assure la force des villes florissantes d'Alsace.
2.2.6.3. Commerce et transports
Le commerce connaît une grande activité, surtout à Strasbourg, où bateliers et armateurs forment la puissante corporation « A l'Ancre » La Wantzenau forme l'avant-port de la ville. Mais lors de la Réforme, l'évêque revendique la possession de ce village, et le Magistrat fait construire un nouveau port vis-à -vis de Kehl. Les bateliers de la ville dominent le fleuve de Bâle à Mayence. Les échanges sont de même teneur qu'au Moyen Âge, mais leur quantité est bien plus importante. Deux nouvelles exportations apparaissent : celle d'eau de vie et de vinaigre.
Strasbourg est un centre de transit considérable. Les marchandises affluent. Déposées à la douane et soumises à des taxes, elles repartent vers les pays lointains. Ainsi la ville s'assure d'énormes profits. Les foires contribuent à sa prospérité. Les commerçants de Strasbourg sont en relation avec tous les pays d'Europe. Mais ils ne fondent pas de succursales à l'étranger et ne s'adonnent par au trafic maritime. Ils se contentent de faire le commerce de transit des marchandises européennes, s'enrichissant fortement et devenant ainsi les premiers capitalistes Alsaciens. Par eux naît le nouveau système du commerce de l'argent et du crédit.
Les Strasbourgeois utilisent les capitaux amassés aux achats de terres puis, fait nouveau, aux prêts fructueux : la Banque de Strasbourg d'abord privée, puis municipale, est créée en 1482-1484 et attire rapidement une nombreuse clientèle.
A un moindre degré, les autres villes Alsaciennes participent à ce développement économique, surtout Colmar, Haguenau et Sélestat.
2.2.6.4. La vie quotidienne
2.2.6.4.1. Les paysans
Les blessures de la Guerre des Paysans se guérissent vite. Les conditions de vie de la paysannerie restent modestes comme par le passé. On ne parle plus guère des « serfs » non - libres, la plupart étant des paysans censiers, les uns pauvres, les autres aisés. Mais la grande partie des terres reste aux mains des nobles, bourgeois ou clercs. Les modes d'exploitation ne changent pas, ni la vie matérielle des paysans.
2.2.6.4.2. Les citadins
La vie matérielle s'améliore nettement dans les villes : grandes et belles maisons en pierre avec portails, larges fenêtres, balcons, oriels. Le mobilier s'enrichit : meubles magnifiques, abondante vaisselle en terre cuite ou étain, gobelets d'argent. Dans l'habillement, la mode bat son plein. Banquets, fêtes, danses sont fort abondants. L'Alsace du XVIè donne l'impression d'une grande joie de vivre.
Mais dès 1550 des changements se produisent : troubles religieux et querelles politiques créent de nombreux désordres. La nouvelle élite politique au pouvoir tient pour un protestantisme beaucoup plus puritain et austère… L'insécurité perturbe la vie économique et quelques faillites inquiètent le milieu économique… Au début du XVIIè, la situation va se tendre brusquement.