Nazisme : les opérations « T4 » et « 14F3 » (2ième guerre mondiale 1939-1945)
6.1. L’euthanasie sauvage
L’Aktion Brandt
Meseritz-Obrawalde
6.1.2. Meseritz-Obrawalde
6.1.2.1. L’institut
En 1939, la ville de Meseritz se trouve dans la province prussienne de Poméranie. Aujourd'hui, elle porte le nom Miedzyrzecz et se situe en Pologne. L'hôpital d’Obrawalde (Obrzyce), désigné sous le nom de Meseritz-Obrawalde, est sans doute avec l'institution de Tiegenhof (Dziekanka) dans le Wartheland, le plus tristement célèbre centre d'euthanasie « sauvage ».
Meseritz-Obrawalde en 1945 |
Au cours de la période précédant la suspension du programme d'euthanasie T4 en août 1941, un grand nombre de patients avaient été transférés de Meseritz-Obrawalde « vers l'Est » et avaient tout simplement disparu comme de nombreux patients d'autres établissements de Poméranie.
Début 1942, dans le cadre de l’action d’euthanasie sauvage, arrivent à Obrawalde les premiers convois ferrés, chaque train transportant environ 700 passagers. Ils arrivent d’au moins 26 villes allemandes et déchargent leur cargaison de nuit. Tous les infirmiers et les préposés à la santé de l’établissement sont mobilisés pour les « décharger ».
6.1.2.2. Les victimes
Les malades arrivent en général très amaigris dans un état si lamentable qu’ils suscitent la répulsion du personnel soignant, qui en vient rapidement à les traiter comme le veulent précisément les dirigeants de l’opération : du bétail à liquider… En principe, le tri devait être fait entre les aptes au travail et les inaptes… Mais rapidement on en vient à éliminer tous les patients causant un surcroît de travail pour les infirmières, ceux qui sont sourds-muets, malades, contrariants ou indisciplinés...
Meseritz-Obrawalde en 1939 |
Les victimes sélectionnées sont enfermés dans de salles « spécialisées » ou elles sont « traitées » par les médecins et les infirmières avec un médicament administré par voie orale ou par une injection létale. Les tueurs se mettent au moins à deux pour exécuter une victime. Après le décès, un faux certificat est établi et envoyé à la famille de la victime. La plupart des cadavres sont enterrés nus dans des fosses communes, mais certains sont été incinérés à Francfort-sur-Oder. En 1944, on commence la construction d'un crématorium pour traiter le grand nombre de cadavres, mais le chantier n’est pas encore achevé lorsque les troupes soviétiques libèrent l'hôpital le 29 janvier 1945. 900 patients occupaient Meseritz-Obrawalde en 1939, mais pendant la guerre, l'institut comptait jusqu’à 2 000 patients.
Meseritz-Obrawalde : le cimetière |
Le nombre exact de patients tués ne sera jamais connu, car seule une partie des dossiers ont été conservés ; les estimations minimales indiquent 6 991 patients éxécutés. La commission judiciaire allemande d’après guerre estime quant à elle le nombre de victimes à plus de 10 000. D’autres sources avancent le chiffre de 18 000 victimes. Il existe également des preuves que des soldats allemands de la Wehrmacht, physiquement ou mentalement handicapés du fait de la guerre, sont inclus dans le nombre des victimes. Plusieurs milliers d’urnes inutilisées ont été trouvées après la guerre, preuve d’une planification de meurtres à grande échelle. Par ailleurs, l’institut fonctionnait comme un véritable camp de concentration, avec ses kapos, ses appels, ses travaux forcés, ses sélections et son système de fonctionnement confié aux détenus eux-mêmes…
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6.1.2.3. Procès et témoignages
En 1965, s’ouvre à Munich le procès de quatorze infirmières (Münchner Schwesternprozess) ayant servi à Meseritz-Obrawalde, accusées de collaboration avec le programme d'euthanasie et de meurtre de milliers de handicapés mentaux par administration de surdoses de Véronal, de Luminal, ou par des injections de Scopolamine. Leur témoignage donne un aperçu de la facilité avec laquelle, au vu des circonstances politiques, il était possible de convaincre des soignants à devenir des tueurs.
- Hélène Wieczorek est accusée d'avoir tué « plusieurs centaines » de patients. Son témoignage est significatif : « Grabowski, le directeur nous a dit que nous devions aider les cadres infirmiers : la tâche était trop importante pour eux. Nous devrions également faire les injections. Au début, j'ai refusé. Mais il a dit qu'il n’y avait pas le choix car, étant fonctionnaire depuis de nombreuses années, j’avais à accomplir mon devoir, en particulier en temps de guerre. Il a ajouté qu'il y aurait une loi stipulant que les personnes souffrant de troubles mentaux incurables devraient être délivrées de leurs souffrances… J'ai seulement fait mon devoir et je l’ai fait sur ordre de mes supérieurs. Le Directeur Grabowski nous a toujours mis en garde contre Gestapo et nous a prévenu qu’il informerait la Gestapo au cas où nous ne ferions pas ce qu'il commandait... »
- Luise Erdmann, principale accusée dans le procès pour participation à l'assassinat de 210 patients : « En voyant pratiquer le docteur Wernicke, je me suis rendue compte que les patients incurables devaient être libérées par une injection de Véronal ou d’un autre médicament. Je déclare également que je n'ai pas été informée par le Dr Wernicke ou toute autre personne à l'accueil au sujet de l'euthanasie. Je n'étais pas tenue garder le secret à ce sujet... Je crois qu'il était tenu pour acquis que j'allais approuver l'euthanasie. Mon attitude à l'égard de l'euthanasie est que si je deviens une malade incurable - Je ne fais pas de distinction entre la maladie mentale et la maladie physique - je considérerais comme une libération si un médecin ou si une autre personne, sous la direction d'un médecin, m’injecterait une dose (létale) pour me libérer de tout. En dépit de mon attitude personnelle à l'égard de l'euthanasie, j'ai – lorsque j’ai été confrontée à ce problème – fait face à de graves conflits intérieurs. L'euthanasie, telle que je l’ai vécue à ce moment-là, a été, après tout, un massacre de gens, et je me suis demandé si le législateur avait le droit d’autoriser ou d'ordonner à tous la mise à mort de ces personnes. Jamais, cependant, je n’ai entendu parler d'une loi sur l'utilisation de l'euthanasie mais, en revanche, le Dr Mootz m'a expliqué une fois qu'il n'y avait pas besoin de réserve, et que le cas échéant, il me couvrirait de sa responsabilité. A partir de ce moment, j’en ai conclu qu’il y avait une certaine forme de légalité de l'euthanasie. »
“Anders ist es bei den Fällen gewesen, wo ich die Tötung nicht für notwendig oder angebracht hielt. Wenn ich mich bei diesen Tötungen doch beteiligte und somit gegen meine innere Einstellung und Überzeugung handelte, so geschah es deswegen, weil ich es gewohnt war, die Anordnungen und die Befehle der Ärzte unbedingt auszuführen. Ich bin so erzogen und auch ausgebildet worden. Als Schwester besitzt man nicht den Bildungsgrad eines Arztes und kann daher nicht werten, ob die vom Arzt getroffene Maßnahme oder Anordnung richtig ist. Die ständige Übung, den Anordnungen eines Arztes zu folgen, geht so in Fleisch und Blut über, dass das eigene Denken ausgeschaltet wird.” - Erna Elfriede, accusée de participation à l'assassinat de 200 patients : Ils n'ont pas fait jurer le secret et je n'ai pas prêté serment de garder le silence... Je considérais les meurtres comme une injustice… Quelque chose qui n'était pas censé se produire, parce que personne n'est autorisé à le commander. J'ai été élevé en tant que chrétienne. J'ai déjà appris dans mon enfance ce que l'on peut faire et ce que l’on ne peut pas faire. J'ai appris qu'il ne faut pas voler et ne pas tuer… »
Au juge qui lui demande pourquoi elle n'a pas refusé de participer à la tuerie, elle répond : « Parce qu’on m’a ordonné de le faire. Quand on me demande encore pourquoi je n'ai pas refusé, même si j’étais consciente qu'il s'agissait d'une injustice, je ne peux pas donner de réponse à cette question. Je ne l’ai pas fait dans le passé, j’ai un fort sentiment de culpabilité, mais il m'est impossible de donner une raison au fait que je n'ai pas refusé. L’ordre à simplement été donné et j'ai dû exécuter l’ordre »
Tous les quatorze femmes accusées au « Münchner Schwesternprozess » ont été reconnus non coupables.
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