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Auschwitz, camp de concentration nazi

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7. TĂ©moignages

Les rescapés
Les condamnés

7.2. Les condamnés

7.2.1. La Judenrampe

7.2.1.1. Arrivée à Birkenau par Nadine Heftler

« La première impression est de se trouver transportée sur une autre planète, tant le spectacle parait irréel: une immense plaine en terre boueuse. Quelques petites « huttes » basses en pierres et une multitude de femmes revêtues de sortes de sacs en gros jute serré à la taille par une ficelle et un fichu sur la tête, courant en tous sens. »

« Dès que les portes du train s'ouvrent, on entend des cris « Alles Raus ! » (Tout le monde dehors !) et avec beaucoup de sauvagerie et de précipitation on intime l'ordre de sauter en bas du train : les chiens de SS courent, aboient et mordent au besoin : les bagages sont jetés pêle-mêle sur la rampe du chemin de fer. On sent que l'on bascule subitement dans un monde totalement « fou » et inconnu... »

« Une haute cheminée crache en plein jour des flammes oranges... »

« Aussitôt on sépare les hommes des femmes et des enfants et commence la plus terrible des « sélections » faite par un « médecin » SS : seuls auront droit d'entrer dans le camp les adultes en bonne santé apparente âgés d'environ 18 à 35 ans... les autres, c'est-à-dire les nourrissons, les enfants, les adolescents, les gens âgés de plus de 35 à 40 ans maximum, les malades, les infirmes, les vieillards, les femmes accompagnées d'enfants et les personnes portant des lunettes sont destinés à être immédiatement exterminés et sont dirigés, en camion, vers les chambres à gaz. »

« Ceux qui ont « la chance » de rentrer dans le camp s'en vont en rang par cinq, au pas militaire, vers le « sauna » (bâtiment des douches) ou après avoir définitivement abandonné tous leurs vêtements et leurs objets personnels, ils sont gratifiés d'une douche (quelques gouttes d'eau sans savon ni serviette).

Puis on leur rase la tête et enfin on procède au tatouage sur l'avant-bras gauche d'un numéro-matricule qui leur tiendra lieu désormais de nom et de prénom. »

Nadine Heftler : Mon arrivée à Birkenau, « Après Auschwitz » n° 252 (juin 1994)
Amicale des déportés d'Auschwitz et des camps de Haute-Silésie 1994

7.2.1.2. Arrivée et sélection par Walter S

« C'était Auschwitz. C'était incroyable comment ils avaient organisé le tri des gens. Il y avait toujours ces beuglements, les Allemands avec leurs armes. On nous a demandé de laisser tout ce que nous possédions à l'intérieur. On le récupérerait plus tard. Nous sommes sortis des wagons de marchandises. En quelques minutes, pas plus, ils avaient séparé un millier de personnes - les femmes d'un côté, les hommes de l'autre. C'est bien connu : un côté signifiait la mort, l'autre côté irait peut-être dans le camp d'Hitler. Mais on ne savait pas. On ne savait vraiment pas... »

« Ils ont sélectionné trois cents hommes, et nous avons été chargés dans des camions. Comment ils faisaient, ils retenaient ceux qui n'étaient pas trop vieux, mais pas les enfants, ceux qui étaient forts. Nous avons été emmenés à Auschwitz III, Buna. On y construisait un grand complexe chimique où ils voulaient fabriquer du caoutchouc synthétique, l'usine I.G.Farben. » 

« Aussitôt (nous avons été) conduits dans une salle où on nous a enlevé tous nos vêtements civils. On nous a rasé les cheveux, tous les poils du corps. Ça allait si vite, tout, le travail était fait par d'autres prisonniers. Vous voyez, les gardiens attendaient, le sale boulot était fait par des camarades prisonniers. Nous étions nus, nous avons pris une douche, puis j'ai eu mon numéro tatoué, c'est le 11 7022. C'était supposé être mon nom. Je n'avais plus de nom. Voilà. »

Walter S., né en 1924 à Steinbach, Allemagne
Tombé malade à Auschwitz, il est secouru par un ami infirmier. Transféré à Buchenwald, puis à Altenburg, il est sauvé par une gardienne contre la promesse de témoigner pour elle en 1945.

7.2.1.3. La nuit par Elie Wiesel

Le témoignage d'Elie Wiesel, prix Nobel de la paix, apporte une illustration exceptionnelle à l'étude sur Auschwitz. Il a quinze ans quand il est déporté à Birkenau, au printemps 1944. Sa mère et sa sœur sont conduites dès leur arrivée, à la chambre à gaz. Son père et lui sont « sélectionnés » pour travailler à l'usine Buna. Devant l'avance de l'armée Rouge, ils seront évacués à Buchenwald, où son père meurt de dysenterie le 28 janvier 1945. Wiesel a évoqué sobrement son calvaire de jeune garçon déporté dans un livre préfacé par François Mauriac, « La Nuit », (Paris, Éditions de Minuit, 1958 - les citations sont extraites de l'édition de 1988).

Dans son livre témoignage, Elie Wiesel évoque la solidarité des déportés, mais aussi la sauvagerie des SS et la déshumanisation provoquée par la déportation. Elie Wiesel relate ici comment lors de son arrivée sur la rampe de Birkenau, un déporté anonyme chargé d'accueillir les nouveaux arrivants leur sauva la vie, à son père et à lui :

« Ma main se crispait au bras de mon père. Une seule pensée: ne pas le perdre. Ne pas rester seul. Les officiers SS nous ordonnèrent:

- En rangs par cinq.
Un tumulte. Il fallait absolument rester ensemble.
- Hé, le gosse, quel âge as-tu ?
C'était un détenu qui m'interrogeait. Je ne voyais pas son visage, mais sa voix était lasse et chaude.
- Pas encore quinze ans.
- Non. Dix-huit.
- Mais non, repris-je. Quinze.
- Espèce d'idiot. Écoute ce que moi je te dis.
Puis il interrogea mon père qui répondit:
- Cinquante ans.
Plus furieux encore, l'autre reprit:
- Non, pas cinquante ans. Quarante. Vous entendez ? Dix-huit et quarante.
Il disparut avec les ombres de la nuit.

Ce double mensonge devait permettre au père et au fils, lors de la sélection effectuée par les SS, d'être classés parmi les travailleurs et d'échapper ainsi à la mort immédiate. »

Elie Wiesel, « La Nuit », Paris, Éditions de Minuit, 1958

7.2.1.4. SĂ©lection sur la rampe par le S.S. Pery Broad

« Sur une contre-voie de la gare de triage se tient un long train de wagons de marchandises. Les portes coulissantes sont fermées avec des fils de fer plombés. Un détachement de service a pris position autour du train et de la rampe. Les S.S. de la direction du camp de détention font descendre tout le monde du train. Un désordre confus règne sur la rampe. On commence par séparer les maris de leurs femmes. Des scènes d'adieu déchirantes ont lieu. Les époux se séparent, les mères font un dernier signe à leur fils. Les deux colonnes en cinq files avancent à plusieurs mètres l'une de l'autre sur la rampe. Celles qui, en proie à la douleur de l'adieu, essaient de se précipiter pour donner encore une fois la main ou dire quelques paroles de consolation à l'homme aimé sont rejetées par les coups des SS.

Puis le médecin S.S. commence à sélectionner ceux qui lui paraissent aptes au travail. Les femmes en charge de petits enfants sont en principe inaptes, ainsi que tous les hommes d'apparence maladive ou délicate. On place à l'arrière des camions des escabeaux, et les gens que le médecin S.S. a classés comme inaptes au travail doivent y monter. Les S.S. du détachement d'accueil les comptent un à un. »

TĂ©moignage du S.S. Pery Broad, Gestapo du camp d'Auschwitz.
cité par E. Kogon, H. Langbein et A.Rückerl, « Les Chambres à gaz, secret d'État », Éditions de Minuit, Paris, 1984.

7.2.1.5. Sur la rampe, par Robert Waitz

« Peu à peu, les déportés avancent vers l'extrémité du quai. Deux S.S. sont au milieu de celui-ci ; l'un est officier médecin. Les déportés défilent devant lui. Avec le pouce ou avec une badine, l'officier dirige les détenus, soit à droite, soit à gauche. Ainsi se constituent deux files qui vont s'amasser aux deux extrémités du quai. La file de gauche comporte des hommes de 20 à 45 ans, dont l'aspect extérieur est relativement robuste. Les limites d'âge sont élastiques, parfois elles s'étendent de 16 ou 18 à 50 ans. L'aspect et l'allure du détenu, le fait qu'il soit plus ou moins bien rasé interviennent dans ce choix. Dans cette file sont envoyées également quelques jeunes femmes.

La file de droite comporte les hommes plus âgés ; les vieillards, la plupart des femmes, les enfants et les malades. Les familles essayent de se regrouper. Parfois l'officier S.S. sort alors du groupe familial les éléments valides jeunes ; plus rarement ceux-ci sont laissés avec leur famille dans la colonne de droite.

Dans la file de gauche, les femmes sont dirigées à pied vers le camp voisin, les hommes partent dans des camions et des remorques, entassés les uns sur les autres. Les détenus de la file de droite sont chargés sur des camions.

Dans mon convoi, sur 1 200 déportés, une proportion très grande d'hommes est retenue (environ 330) ainsi que quelques femmes. Ce chiffre est exceptionnel. Il est rare que plus de 150 à 200 hommes soient retenus par convoi... »

Témoignage du professeur Robert Waitz, déporté au camp d'Auschwitz.
« Témoignages strasbourgeois, De l'Université aux Camps de Concentration » Paris, 1947

7.2.1.6. Pas de gosse dans les bras par Denise Holstein

« La troisième nuit, arrêt brutal. Les portes sont violemment ouvertes et les enfants qui s'étaient, enfin, pour la plupart, endormis, sont réveillés par des hurlements : « Raus ! Schnell ! » (« Dehors ! Vite ! ») II faut les habiller, récupérer un peu partout les affaires des uns et des autres. Ils sont terrorisés, tirés dehors par des hommes en costumes rayés de bagnards qui ne parlent pas français et qui ne laissent personne emporter de bagage.

J'en vois un qui a une allure un peu moins sinistre que les autres, quoique la tête rasée et l'air un peu hagard. Il a de grands yeux bleus et il me semble qu'il doit être français. En effet, mais il me dit de remonter dans le wagon, afin qu'on ne voie pas qu'il me parle. Alors, il me dit que nous sommes à Auschwitz, que c'est l'horreur, qu'on doit travailler, qu'il n'y a pas de place pour se coucher, très peu de nourriture, juste de quoi ne pas mourir. Il me dit aussi : « Surtout, ne prends pas de gosse dans les bras ». Je ne comprends pas, je lui demande pourquoi. « Tu comprendras d'ici quelques jours. »

Puis, me montrant les petits : « Tu vois, ça va faire du savon ». Drôles de propos qui, apparemment, ne veulent rien dire. Je pense qu'il est fou. Je lui demande quand même s'il connaît des Holstein dans ce camp. Ça le fait sourire : « Nous sommes peut-être plusieurs millions dans ce camp et je te conseille de ne plus demander de nouvelles de ta famille, de ne plus y penser. » Cette fois, la situation est terriblement angoissante et, comme en descendant du wagon je vois une petite fille, toute seule, qui pleure, je la prends par la main. L'homme vient vers moi et, sur un ton très autoritaire, me dit : « Tu n'as pas compris ? Ne prends pas d'enfant par la main ! » Alors, le cœur serré, je laisse la petite au milieu de la foule et je marche seule le long de la voie ferrée, comme on nous l'ordonne.

Le Hauptscharführer Thilo (médecin militaire) lors d’une sélection. Ce SS « bon ton » trouvera la bonne formule pour Birkenau : l’« anus mundi », l’anus du monde
Le Hauptscharführer Thilo (médecin militaire) lors d’une sélection. Ce SS « bon ton » trouvera la bonne formule pour Birkenau : l’« anus mundi », l’anus du monde

Il fait nuit, mais des projecteurs nous éclairent violemment. Un peu plus loin, en travers de la route, il y a cinq ou six Allemands. L'un d'eux, plus grand que les autres, fait des gestes avec sa cravache sans rien dire, tantôt vers la droite, tantôt vers la gauche, je me rends compte que tous les petits enfants partent d'un côté, avec les personnes âgées. De l'autre, il ne doit rester que des gens qui ont environ entre dix-huit et trente-cinq ans. Des familles sont ainsi brutalement séparées, sans aucune explication. Peu importe qu'on soit mari et femme, mère et enfant, frère et sœur. Ce sont des scènes déchirantes, des gens s'accrochent les uns aux autres, mais les Allemands ne se laissent pas attendrir et frappent violemment ceux qui sortent du rang. Terrible sensation de terreur. Ou bien, ils envoient du même côté, toujours du côté des enfants, ceux qui ne veulent pas être séparés.

Auschwitz-Birkenau : vers la chambre à gaz… Grand-mère hongroise et ses petits enfants
Auschwitz-Birkenau : vers la chambre à gaz… Grand-mère hongroise et ses petits enfants

C'est aussi par là que je vois partir mon amie Beila, avec son frère et sa sœur. Et c'est par là que disparaissent les enfants de Louveciennes et des autres centres de l'U.G.I.F., et surtout les neuf petits dont je me suis occupée pendant plusieurs mois, auxquels je me suis tellement attachée. Tout se passe très vite et je suis incapable de dire si cette scène dure deux heures ou une demi-heure. Tout est rapide, brutal. Les Allemands procèdent à cette sélection avec une grande froideur, comme s'il s'agissait de bestiaux au marché. »

Denise Holstein, déportée au camp d'Auschwitz.
« Je ne vous oublierai jamais, les enfants d'Auschwitz... », Edition n°1, Paris, 1995.

7.2.2. Les gazages au Stammlager par Rudlf Höss

La chambre à gaz aménagée dans l’ancien crématoire a fonctionné sans interruption de l'automne 1941 à octobre 1942. Elle remplace la chambre utilisée dans le Block 11. Voici ce qu'écrit Höss à ce sujet :

« Je me rappelle le gazage de 900 prisonniers russes qui eut lieu plus tard dans l'ancien crématoire, car l'utilisation du Block 11 présentait trop de difficultés. On s'est contenté de percer plusieurs trous, d'en haut, à travers la couche de terre et de béton qui recouvrait la morgue. Les Russes ont dû se déshabiller dans l'antichambre, puis ils sont entrés très tranquillement dans la morgue : on leur avait dit en effet qu'on allait les épouiller. La totalité du convoi a pu entrer dans la morgue. On a fermé les portes et jeté le gaz par les ouvertures. Je ne sais pas combien de temps il a fallu pour les tuer. On a entendu d'abord pendant quelque temps un bruit de conversations. Puis, quand on a jeté le gaz, il y eut des hurlements et une bousculade vers les deux portes. Mais celles-ci ont résisté à la poussée. »
Rudolph Höss, Le Commandant d’Auschwitz parle, Julliard 1959, réédité en 1979 chez Maspéro

7.2.3. Les gazages Ă  Birkenau

7.2.3.1. Gazage au Bunker I par Richard Böck

Le SS Richard Böck a assisté, en 1942, au gazage dans le « Bunker II » bâtiment qui abritait 4 chambres à gaz. Il ne s'agit pas ici d'une des chambres à gaz des grands crématoires de Birkenau.

« Ils sont arrivés par train express. Les camions étaient déjà là, avec des marchepieds en bois et les gens y ont grimpé. Ils sont tous partis. A l'endroit où, avant, il y avait [le bois] de Birkenau, on voyait un long bâtiment (le Bunker 2) et, à coté, quatre ou cinq grandes cabanes. [...] Il y avait un panneau sur lequel était indiqué "vers la désinfection". Il dit "Vous voyez, ils amènent des enfants maintenant". Ils ont ouvert la porte, ont jeté les enfants à l'intérieur et ont refermé la porte. Il y eut un cri terrible. Un membre des SS a grimpé sur le toit. Les prisonniers continuèrent à pleurer pendant environ dix minutes. Alors ensuite d'autres prisonniers ouvrirent les portes des chambres à gaz. Tout à l'intérieur était dans le désordre. La chaleur se dissipait. Les corps furent chargés sur un chariot rugueux et jetés dans un fossé. La prochaine fournée se déshabillait déjà dans les cabanes. Après ce dont j'avais été témoin, je n'ai pas regardé mon épouse durant quatre semaines »
Herman Langbein, Der Auschwitz Prozess, p. 74, cité par Jean-Claude Pressac,

7.2.3.2. Les gazages, par Filip MĂĽller

« Avec cinq ou six boîtes de gaz, ils tuaient deux mille personnes.

Les « désinfecteurs » arrivaient dans un véhicule marqué d’une croix rouge et escortaient les colonnes pour leur faire croire qu’ils les accompagnaient au bain.

Mais en réalité, la Croix-Rouge n’était qu’un leurre ; elle camouflait les boîtes de zyklon et les marteaux pour les ouvrir. »

« La mort par gaz durait de dix à quinze minutes. Le moment le plus affreux était l’ouverture de la chambre à gaz, cette vision insoutenable : les gens, pressés comme du basalte, blocs compacts de pierre. Comment ils s’écroulaient hors des chambres à gaz ! »

« Plusieurs fois j’ai vu cela. Et c’était le plus dur de tout. A cela on ne s'y faisait jamais. C’était impossible (…) C’était un non sens de dire la vérité à quiconque franchissait le seuil du crématoire. »

« Là, on ne pouvait sauver personne.

Là, il était trop tard. »

Filip Müller, Rescapé du Sonderkommando, 29 236 Auschwitz II – Birkenau

Dans son livre « Shoah », Claude Lanzmann présente le texte intégral, paroles et sous-titres, de son film Shoah. Il rapporte le témoignage de Filip Müller, un des survivants du kommando spécial d'Auschwitz :

« - La mort par le gaz durait de dix à quinze minutes. Le moment le plus affreux était l'ouverture de la chambre à gaz, cette vision insoutenable : les gens, pressés comme du basalte, blocs compacts de pierre. Comment ils s'écroulaient hors des chambres à gaz ! Plusieurs fois j'ai vu cela. Et c'était le plus dur de tout. À cela on ne se faisait jamais. C'était impossible. »

« - Impossible. »

« - Oui. Il faut imaginer : le gaz, lorsqu'il commençait à agir, se propageait de bas en haut. Et dans l'effroyable combat qui s'engageait alors - car c'était un combat - la lumière était coupée dans les chambres à gaz, il faisait noir, on ne voyait pas, et les plus fort voulaient toujours monter, monter plus haut. Sans doute éprouvaient-ils que plus ils montaient, moins l'air leur manquait, mieux ils pouvaient respirer. Une bataille se livrait. Et en même temps presque tous se précipitaient vers la porte. C'était psychologique, la porte était là... Ils s'y ruaient, comme pour la forcer ! Instinct irrépressible dans ce combat de la mort. Et c'est pourquoi les enfants et les plus faibles, les vieux, se trouvaient au-dessous. Et les plus forts au-dessus. Dans ce combat de la mort, le père ne savait plus que son enfant était là, sous lui. »

« - Et quand on ouvrait les portes... ? »

« - Ils tombaient... ils tombaient comme un bloc de pierre... une avalanche de gros blocs déferlant d'un camion. Et là où le Zyklon avait été versé, c'était vide. A l'emplacement des cristaux il n'y avait personne. Oui. Tout un espace vide. Vraisemblablement les victimes sentaient que là le Zyklon agissait le plus. Les gens étaient... Ils étaient blessés, car dans le noir c'était une mêlée, ils se débattaient, se combattaient. Salis, souillés, sanglants, saignant des oreilles, du nez... On observait aussi certaines fois que ceux qui gisaient sur le sol étaient, à cause de la pression des autres, totalement méconnaissables... des enfants avaient le crâne fracassé... »

« - Oui. »

« - Comment ? »

« - Affreux... »

« - Oui. Vomissures, saignements. Des oreilles, du nez... Sang menstruel aussi peut-être, non, pas peut-être, sûrement ! Il y avait tout dans ce combat pour la vie... ce combat de la mort. C'était affreux à voir. »

Philipp MĂĽller in Lanzmann Claude, Shoah, Paris, Fayard, 1985

7.2.3.3. Dernier regard par Eva Tichauer

« (…) Ma mère me lâche.
Nous nous regardons, yeux dans les yeux, profondément, en silence.
Nous sommes séparées (…).
Nous ne nous sommes pas dit au revoir, nous ne nous sommes pas embrassées.
Je n’ai jamais revu ma mère ! »
Eva Tichauer 20 832 Auschwitz II – Birkenau

7.2.3.4. La mort des enfants par Robert Waitz

7.2.3.5. Les chaumières de Birkenau par le SS Pery Broad

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« Dès leur arrivée en gare d'Auschwitz, les enfants en dessous de quatorze ou quinze ans sont groupés avec les vieillards et la plupart des femmes et conduits à Birkenau, vers la chambre à gaz. Dans des cas particuliers, aucun tri n'est effectué. Il en est ainsi de convois d'enfants partis de Drancy. Ces convois sont composés uniquement de tout petits enfants. Toutes les pièces d'identité et tous les signes permettant de les reconnaître ont été supprimés. Ils sont accompagnés de quelques infirmières ou assistantes sociales qui se sont attachées à eux déjà dans les maisons d'enfants dans lesquelles ils se trouvaient au moment de leur arrestation. »

« Ces convois sont gazés intégralement dès leur arrivée. J'ai connu l'ancien Lagerälteste de l'hôpital de Birkenau, vieux communiste bavarois, arrêté depuis 1933, ayant survécu à Dachau, à Buchenwald de la grande époque et à Auschwitz du début. Je ne puis oublier l'un de ses récits. Un soir d'été, il était assis devant un Block de l'hôpital de Birkenau. Un camion est tombé en panne, venant de la gare. Ses occupants suivent à pied la route qui longe l'hôpital et les petits enfants s'échappent malgré les SS. Ils vont cueillir des fleurs au bord de la route, en font un bouquet et le portent à leur maman. La route qui suit aboutit à la chambre à gaz. »

Robert Waitz. Témoignages strasbourgeois. De l'Université aux camps de concentration, Les Belles Lettres, 1947 7.2.3.5. Les chaumières de Birkenau par le SS Pery Broad

Le SS Pery Broad rédigea, pour les Anglais en 1945, un mémoire sur Auschwitz où il avait appartenu à la Politische Abteilung, c'est-à-dire à la Gestapo. Le SS Pery Broad écrit à propos des exterminations massives :

« La chambre à gaz aménagée dans l’ancien crématoire a fonctionné sans interruption de l'automne 1941 à octobre 1942. Mais elle ne suffit pas. Deux chaumières abandonnées dans un bois de Birkenau sont à leur tour transformées en chambres à gaz. On les connaît sous le nom de Bunkers 1 et 2. Voici la description qu'en donne Broad :

« À quelque distance du camp de Birkenau qui grossissait comme une avalanche, il y avait deux chaumières, propres et jolies, séparées l'une de l'autre par un petit bois au milieu d'un charmant paysage. Elles avaient été peintes à la chaux d'un blanc éclatant. Leur toit était de chaume et elles étaient entourées d'arbres fruitiers du pays. Seul un observateur attentif de ces maisons pouvait s'apercevoir de l'existence de deux écriteaux portant en différentes langues l'inscription vers la désinfection. Il remarquait alors que les maisons n'avaient pas de fenêtres, mais que leurs portes étaient étonnamment robustes, munies de garnitures hermétiques en caoutchouc et de fermetures à vis, auprès desquelles on avait placé des targettes de bois ; qu'on avait construit à côté, jurant avec elles, plusieurs grands baraquements d'écurie du genre de ceux qui servaient au camp de Birkenau à loger les détenus. La colonne des camions est souvent venue ici pour y conduire les condamnés à l'asphyxie par le gaz. Ils se déshabillaient dans les baraques. Puis on les enfournait dans les chambres à gaz. »

… « Au printemps 1944, Auschwitz a atteint son zénith. De longs trains faisaient l'aller et le retour entre le camp auxiliaire de Birkenau et la Hongrie. Un triage à trois voies allant jusqu'au nouveau crématoire permettait de décharger un train alors qu'un autre entrait en gare. Le pourcentage de ceux qui étaient destinés à un « hébergement spécial », comme on disait depuis un certain temps au lieu de « traitement spécial », était particulièrement élevé parmi les déportés de ces convois. Les quatre crématoires travaillaient sous pression. Mais bientôt les fours devinrent inutilisables du fait de l'usage excessif et continu qu'on en exigeait. Seul le crématoire 3 fumait encore. Les corvées spéciales furent renforcées. Elles travaillaient fiévreusement pour vider sans cesse les chambres à gaz. On remit même en fonction l'une des chaumières, sous la désignation de Bunker numéro 5.

Auschwitz-Birkenau : l’attente de la mort dans le Birkenwald
Auschwitz-Birkenau : l’attente de la mort dans le Birkenwald

« À peine avait-on retiré des chambres le dernier cadavre et l'avait-on traîné jusqu'à la fosse aux incinérations par la place encombrée de cadavres derrière le crématoire que déjà les victimes du prochain gazage se déshabillaient dans la grande salle. À ce degré de rapidité, il était à peine possible de transporter les innombrables vêtements hors du vestiaire. Parfois, de dessous un baluchon se faisait entendre, aiguë, la petite voix d'un enfant oublié. On l'en sortait, on le brandissait en l'air et l'une des brutes qui assistaient les bourreaux lui logeait une balle dans la tête. »

TĂ©moignage du SS Pery Broad.

7.2.3.6. Extermination des Tziganes par LĂ©on Poliakov

LĂ©on Poliakov (1910-1997)
LĂ©on Poliakov (1910-1997)
«  Au début de l'année 1943 commencèrent à arriver à Auschwitz des convois de Bohémiens, dans leurs vêtements bariolés. Ils posaient aux potentats du IIIe Reich un dilemme : du point de vue de l'Etat policier, ces errants étaient des « asociaux », qu'il fallait faire disparaître ; pourtant du point de vue des dogmes raciaux, ils étaient de pure race indo-germanique. Le moyen terme consista à les interner. Höss, qui les qualifiait de ses « détenus préférés », assure avoir nourri beaucoup d'affection pour eux, et leur créa ce qu'il appela un « camp familial ». Ayant gardé leur nature enfantine, écrit-il, ils étaient inconséquents dans leurs pensées et dans leurs actes, et jouaient volontiers. Ils ne prenaient pas trop au sérieux le travail... Certains avaient fait partie des Jeunesses hitlériennes, ou d'autres organisations du parti ; d'autres, arrivant au camp, portaient sur leurs poitrines des médailles ou les décorations gagnées au cours de la campagne de Pologne. Au total, leur nombre à Auschwitz s'éleva à près de 20 000. à l'été 1944, sur ordre de Himmler, ils furent tous gazés.»
Léon Poliakov, Le bréviaire de la Haine, Paris 1951.

7.2.3.7. Les gazages au Bunker I par Höss

Le commandant d'Auschwitz, Höss, décrit lui-même les gazages au Bunker :

« Au printemps de 1942 arrivèrent de Haute Silésie les premiers convois juifs voués à l'extermination. De la rampe du chemin de fer, on les conduisait à la chaumière, le Bunker numéro 1, à travers les prairies. Quelques chefs de Blocks les encadraient et s'entretenaient avec eux de la manière la plus anodine, pour leur donner confiance. Arrivés près de la chaumière, les déportés durent se déshabiller. Ils se rendirent d'abord tranquillement dans les pièces où on devait les désinfecter. Mais dès ce moment certains d'entre eux marquèrent une hésitation, parlant expressément d'asphyxie, d'extermination. Un début de panique se manifestait. Cependant ceux qui étaient encore au-dehors furent poussés à l'intérieur des chambres et l'on ferma les portes hermétiquement. Au cours des transports suivants, on s'attacha à déceler les plus réticents et à ne pas les perdre de vue. Si quelque agitation naissait, on conduisait sans bruit les fauteurs de trouble derrière la chaumière où on les exécutait à l'aide d'un fusil de petit calibre : les autres ne remarquaient rien. »

… « Sur la rampe du chemin de fer, les juifs, jusqu'alors sous la surveillance d'un piquet du camp, étaient pris en charge par la police d'État. Ils étaient amenés en deux détachements par le chef du camp de détention au Bunker. C'est ainsi que l'on appelait les installations d'extermination. Les bagages restaient sur la rampe, d'où on les portait à l'endroit du tri, dénommé « Canada », entre les bâtiments du DAW et la cour. Les juifs devaient se déshabiller près du Bunker. On leur disait qu'ils devaient se rendre dans les pièces dites d'épouillage. Toutes ces pièces, au nombre de cinq, étaient remplies simultanément. On fermait les portes étanches et on jetait à l'intérieur les boîtes de gaz prévues à cet effet. Une demi-heure plus tard, on ouvrait les portes ; il y en avait deux par pièce. On retirait les cadavres, qu'on portait aux fosses sur les wagonnets d'un chemin de fer de campagne. Des camions emportaient les vêtements à l'endroit du tri. Tout le travail, aide lors du déshabillage, remplissage du Bunker, vidage du Bunker, enterrement des cadavres, aussi bien que le creusage et le remplissage des fosses communes, était accompli par une corvée spéciale de juifs qui étaient tenus à part et qui, selon les instructions d'Eichmann, devaient être exterminés eux aussi après chaque opération importante. »

Rudolph Höss, Le Commandant d’Auschwitz parle, Julliard 1959, réédité en 1979 chez Maspéro

7.2.3.8. Les gazages au Bunker I par André Lettich

Le docteur français André Lettich décrit le sort réservé aux condamnés arrivant près du Bunker.

« Très poliment, très gentiment, on leur faisait un petit discours : « Vous arrivez de voyage, vous êtes sales, vous allez prendre un bain, déshabillez-vous en vitesse. ». Subitement les brutes se réveillaient : on obligeait à grands coups ce troupeau humain, ces hommes, ces femmes, à sortir nus, été comme hiver, et ils devaient franchir ainsi les quelque cent mètres qui les séparaient de la « salle de douche ». Au-dessus de la porte d'entrée se trouvaient les mots « Brausebad » (bains - douches). Au plafond, on pouvait même voir des pommes de douches, qui étaient cimentées mais qui n'ont jamais distribué d'eau. »

« Ces pauvres innocents étaient entassés, serrés les uns contre les autres, et là commençait la panique : ils comprenaient enfin quel sort les attendait, mais les coups de matraque et les coups de revolver ramenaient le calme rapidement, et tous pénétraient enfin dans cette chambre mortelle. Les portes étaient fermées et, dix minutes après, la température était assez élevée pour faciliter la volatilisation de l'acide cyanhydrique, car c'est avec de l'acide cyanhydrique que les condamnés étaient gazés. C'était le Zyklon B, terre à infusoires imprégnée de 20% d'acide cyanhydrique, qu'utilisait la barbarie allemande. Alors, par une petite lucarne, le SS Moll lançait les gaz. Les cris qu'on entendait étaient effrayants. Mais au bout de quelques instants, un silence complet régnait. »

« Vingt à vingt-cinq minutes après, fenêtres et portes étaient ouvertes pour aérer et les cadavres immédiatement jetés dans des fosses où on les brûlait ; mais les dentistes avaient au préalable vérifié chaque bouche pour en extraire les dents en or. On s'assurait de même si les femmes n'avaient pas intimement dissimulé des bijoux et leurs cheveux étaient coupés et méthodiquement recueillis pour une destination industrielle. »

Lettich André : « 34 mois dans les camps de concentration » Thèse de Doctorat en Médecine, Paris, 1946.

7.2.3.9. Les gazages par le Dr Nyisli

Le Dr Nyisli, un médecin légiste hongrois auquel un concours de circonstances extraordinaires permit d'assister à mainte extermination et à y survivre, décrit l'opération en son entier.

« Tout le monde est déjà rentré. Un ordre rauque retentit : « Que les SS et le commando spécial quittent la salle. » Ils sortent et se dénombrent. Les portes se referment et les lumières sont éteintes du dehors.

A cet instant, un bruit de voiture se fait entendre. C'est une voiture de luxe pourvue de l'insigne de la Croix-Rouge internationale qui arrive. Un officier SS et un sous-officier du service de santé en descendent. Ils avancent sur le gazon où, chaque trente mètres, de courtes cheminées en béton jaillissent de terre. Le sous-officier tient dans ses mains quatre boîtes en tôle verte. Après s'être muni d'un masque à gaz, il enlève le couvercle de la cheminée, qui est également en béton. Il ouvre l'une des boîtes et déverse le contenu - une matière granulée mauve - dans l'ouverture de la cheminée. La matière déversée est du Zyklon B ou du chlore sous forme granulée qui produit du gaz aussitôt en contact avec l'air. Cette substance granulée tombe au fond de la cheminée sans s'éparpiller, et le gaz qu'elle produit s'échappe à travers les perforations et emplit au bout de quelques instants la pièce où les déportés sont entassés. En cinq minutes, il a tué tout le monde.

C'est ainsi que cela se passe pour chaque convoi. Des voitures de la Croix Rouge apportent le gaz de l'extérieur. Il n'y en a jamais en stock dans les crématoires. C'est une précaution infâme, mais plus infâme encore est le fait que le gaz soit apporté par une voiture pourvue de l'insigne de la Croix Rouge internationale.

Pour être sûrs de leur affaire, les deux bourreaux à gaz attendent encore cinq minutes. Puis ils allument une cigarette et s'éloignent dans leur voiture. Ils viennent de tuer trois mille innocents.

Vingt minutes après, on met en marche les appareils d'aération électriques afin d'évacuer les gaz. Les portes s'ouvrent, des camions arrivent et un groupe du Sonderkommando y charge séparément les vêtements et les chaussures. On va les désinfecter. Cette fois, il s'agit d'une désinfection réelle. Ensuite, on les transporte par wagons vers différents points du pays.

Les appareils d'aération, système « Exhaustor », évacuent rapidement le gaz de la salle, mais dans les fentes, parmi les morts et entre les portes, il en reste toujours une petite quantité. Cela provoque, même plusieurs heures après, une toux étouffante. C'est pour cela que le groupe du Sonderkommando qui pénètre le premier dans la chambre à gaz est muni de masques à gaz. La salle est de nouveau puissamment illuminée. Un tableau horrible s'offre alors aux yeux des spectateurs.

Les cadavres ne sont pas couchés un peu partout en long et en large dans la salle, mais entassés en un amas de toute la hauteur de la pièce. L'explication réside dans le fait que le gaz inonde d'abord les couches inférieures de l'air et ne monte que lentement vers le plafond. C'est cela qui oblige les malheureux à se piétiner et à grimper les uns sur les autres. Quelques mètres plus haut, le gaz les atteint un peu plus tard. Quelle lutte désespérée pour la vie ! Cependant, il ne s'agissait que d'un répit de deux ou trois minutes. S'ils avaient su réfléchir, ils auraient réalisé qu'ils piétinaient leurs enfants, leurs parents, leurs femmes. Mais ils ne peuvent réfléchir. Leurs gestes ne sont que des réflexes automatiques de l'instinct de conservation. Je remarque qu'en bas du tas de cadavres se trouvent les bébés, les enfants, les femmes et les vieillards ; au sommet, les plus forts. Leurs corps, qui portent de nombres égratignures occasionnées par la lutte qui les mit aux prises, sont souvent enlacés ; Le nez et la bouche saignants, le visage tuméfié et bleu, déformé, les rendent méconnaissables… »

7.2.4. L’incinération

7.2.4.1. Les krématoriums par Rudolf Höss

Höss explique comment les cadavres sont incinérés :

«  C'est seulement en 1942 que furent terminées les nouvelles installations des crématoires. Jusque-là, il fallait gazer les détenus dans des chambres à gaz provisoires, et brûler les cadavres dans des fosses. Avant la crémation, on enlevait les dents en or et les anneaux. On alternait des couches de cadavres avec des couches de bois et, lorsqu'un bûcher d'environ 100 cadavres avait été constitué, on mettait le feu au bois avec des chiffons imbibés de pétrole. Quand la crémation était bien lancée, on jetait dans le foyer les autres cadavres. On collectait avec des seaux la graisse qui coulait sur le sol de la fosse et on la rejetait au feu pour hâter le cours de l'opération, surtout par temps humide. La durée de la crémation était de 6 à 7 heures. Par vent d'ouest, la puanteur des corps brûlés se faisait sentir dans le camp lui-même. Lors du nettoyage des fosses, on écrasait les cendres. Cela se passait sur une plaque de ciment où des détenus pulvérisaient le reste des ossements avec des rouleaux de bois. Puis les cendres, transportées par un camion, étaient jetées dans la Vistule à un endroit écarté. »

… « Les deux grands crématoires 1 et 2 ont été construits au cours de l'hiver 1942-1943 et mis en exploitation au printemps 1943. Ils avaient chacun cinq fours à trois creusets et pouvaient incinérer en vingt-quatre heures environ 2 000 cadavres. Ils comportaient au sous-sol des pièces de déshabillage et de gazage. On pouvait les aérer ou y faire le vide. Les cadavres étaient montés par un ascenseur jusqu'aux fours qui se trouvaient au-dessus. »

« D'après les estimations du constructeur, la firme Topf d'Erfurt, les deux crématoires plus petits, 3 et 4, pouvaient incinérer chacun 1 500 cadavres en vingt-quatre heures. La rareté des matières premières due à la guerre obligea la direction des travaux à construire ces deux crématoires à l'économie. On édifia en surface les salles de déshabillage et de gazage et les fours furent construits en matériaux légers. Mais bientôt il se révéla que cette construction légère des fours, chacun à quatre creusets, n'était pas à la hauteur des exigences. Il fallut arrêter à plusieurs reprises le 4, car, après une courte durée de fonctionnement de quatre à six semaines, les fours ou les cheminées étaient brûlés. La plupart du temps, on incinérait les gazés dans les fosses situées derrière le crématoire 4 »

R. Höss, Le Commandant d’Auschwitz parle, Julliard 1959, réédité en 1979 chez Maspéro

7.2.4.2. L’incinération par Höss

« Au début un grand bûcher nous servait à brûler 10 000 cadavres, par la suite, on procédait à l'incinération dans les fosses communes vidées des cadavres précédents. Au début, on arrosait les cadavres avec des sous-produits du pétrole, par la suite avec de l'alcool méthylique. Dans les fosses les incinérations se poursuivaient sans interruption, de jour et de nuit. Vers la fin de 1942 toutes les fosses communes furent nettoyées. Le nombre des cadavres qui y avaient été enterrées s'élevait à 107 000. »
R.Höss, Le Commandant d'Auschwitz parle, p 268.

7.2.4.3. L’incinération en 1942 par Pery Broad

Le SS Pery Broad, évoquant la situation pendant l'été 1942, conclut :

« Les méthodes d'extermination d'Auschwitz ne satisfaisaient plus Himmler. D'abord, elles étaient trop lentes. Puis les grands bûchers répandaient une telle puanteur que la région en était empestée sur un rayon de plusieurs kilomètres. De nuit, à des kilomètres de distance, on voyait le ciel rougeoyer au-dessus d'Auschwitz. Mais, sans ces gigantesques bûchers, il aurait été inimaginable d'éliminer la quantité infinie des cadavres de ceux qui étaient morts dans le camp ou dans les chambres à gaz. »
Auschwitz-Birkenau : photo clandestine prise par un membre du Soderkommando : les crĂ©matoires ne suffisant plus, on brĂ»le les cadavres Ă  l’extĂ©rieur du KV.DĂ©tail
Auschwitz-Birkenau : photo clandestine prise par un membre du Soderkommando : les crématoires ne suffisant plus, on brûle les cadavres à l'extérieur du KV.Détail

7.2.4.4. Les fours crématoires par Höss

« Les fours crématoires II et III étaient identiques ; ils étaient symétriquement situés de deux cotés de l'embranchement spécial menant de la station d'Auschwitz. Cette voie était réservée exclusivement au transport des déportés. Pour faire venir les matériaux nécessaires à la marche des fours (par exemple le coke, le bois) on se servait que de camions. Chacun des crématoires avait cinq fours à trois creusets, chacun avec deux foyers à gazogène. Ces fours étaient en gros les mêmes que ceux du crématoire I. Les crématoires II et III avaient ensemble 30 creusets et pouvaient incinérer 350 cadavres à l'heure. En travaillant sans arrêt à deux roulements 12 heures sur 24, avec un intervalle de 3 heures pour enlever les scories des générateurs, ils pouvaient engloutir au total 5 000 cadavres en 24 heures. »

« Dans les crématoires II et III on avait construit des fours particuliers pour incinérer différents objets personnels des victimes, livres de prière, documents personnels, etc., considérés comme déchets par le personnel du camp. Avant la liquidation du camp, les fonctionnaires du service politique brûlèrent dans ces fours les fichiers des prisonniers morts, et d'autres documents secrets. »

« Les crématoires IV et V représentaient du point de vue de la grandeur, l'avant-dernier type de ceux qu'avait construit la firme Topf à Auschwitz. Ils ont été bâtis presque en même temps que les fours II et III. Ils étaient séparés par une distance de 100 mètres et éloignés de quelques 700 mètres du premier couple de fours. Ils furent construits d'après les mêmes plans et situés symétriquement. L'entreprise Topf demanda 6 % de rétribution supplémentaire en expliquant qu'elle procédait pour la première fois à la construction de fours d'une si grande dimension, ce qui nécessitait des travaux spéciaux. »

« Les crématoires IV et V comprenaient en tout 16 creusets. Chaque four avait de chaque côté 4 creusets et 2 foyers, soit en tout 8 creusets et 4 foyers desservis par une équipe complète à deux roulements de 12 heures sur 24, avec un intervalle pour enlever les scories des générateurs, les crématoires IV et V pouvaient incinérer en moyenne 3 000 cadavres par jour. »

7.2.4.5. Le camouflage des fours

Commande de Höss aux kommandos agricoles d'Auschwitz.

Objet : Fourniture de plantes destinées à garnir les fours crématoires I et II du camp de concentration d'une bande de verdure

Référence : Entretien entre le SS-Sturmbannfürer Hoess, commandant du camp, et le SS-Sturmbannfürer Bischoff.

Pièces Jointes : Néant

« Conformément à un ordre du SS-Sturmbannfürer Hoess, commandant du camp, les fours crématoires I et II du camp de concentration seront pourvus d'une bande verte servant de limite naturelle au camp.

Voici la liste des plantes qui devront être prises dans nos réserves forestières :

  • 200 arbres Ă  feuilles de 3 Ă  5 mètres
  • 100 rejetons d'arbres Ă  feuilles de 1,5m Ă  4m de haut
  • Enfin 1000 arbustes de revĂŞtement de 1m Ă  2,5m de haut

Le tout pris dans les réserves de nos pépinières. »

7.2.5. La récupération

7.2.5.1. J’ai travaillé au Kanada par Kitty Hart

Kitty Hart, une survivante de l'une des équipes du Kanada, décrit le travail.

« J'appartenais aux deux cents nouvelles du camp des femmes, qui avaient été affectées aux commandos du « Kanada ». On nous répartit en plusieurs groupes ; il y avait une équipe de jour, et une équipe de nuit. Notre travail consistait à trier les biens des gens qui avaient été gazés et incinérés. Dans une baraque, un groupe triait des chaussures uniquement ; un autre groupe s'occupait que des vêtements d'hommes, un troisième des vêtements de femmes, un quatrième de vêtements d'enfants. Une autre baraque portait le nom de « baraque de la boustifaille ». Des montagnes entières de vivres, qui avaient emportés par les gazés lors de leur déportation, y moisissaient et y pourrissaient. Dans une autre baraque, on triait les objets de valeurs, les bijoux, l'or et les autres objets précieux. »

« Un groupe spécial devait déblayer l'amoncellement de biens qui avaient été enlevés aux candidats de la mort, et les répartir entre les diverses baraques. Je fus affectée à l'équipe de nuit chargée de trier les vêtements de femmes. Ces vêtements étaient entassés à une extrémité de la baraque. Nous devions en faire des paquets de douze. Les vêtements devaient être soigneusement pliés, et ensuite ficelés. En un laps de temps donné, il fallait avoir confectionné de la sorte un nombre déterminé de paquets. Ceux-ci étaient ensuite entassés dans une autre baraque, pour leur transport. De là, des camions partaient tous les jours, pour livrer en Allemagne ces biens volés. »

« Tous les vêtements devaient être soigneusement palpés, à la recherche de bijoux cachés ou d'or. Le Reich allemand s'attendait à de l'or, à des dollars, à des diamants et d'autres pierres précieuses. Le butin dans ce genre partait en sacs. Bien que la dissimulation de tels objets signifiait la mort, mes trois amies et moi n'avons jamais livré de tels objets. Nous préférions nous servir de billets de banque comme papier de toilette. Nous avons enfoui dans la terre des boîtes remplies d'or et d'objets précieux. Lorsque nous en avions la possibilité, nous remettions de tels objets aux détenus hommes avec lesquels nous entretenions des contacts. Eux de leur côté avaient des contacts avec le mouvement de résistance polonaise à l'extérieur. Nous espérions qu'il serait possible de se procurer de la sorte des armes et des munitions pour une insurrection prochaine. Néanmoins, un camion après l'autre transportait les trésors des victimes en Allemagne… »

Kitty Hart, déportée à Auschwitz-Birkenau, témoignage traduit de l'allemand.
In H. Adler, Hermann Langbein, Ella Lingens-Reiner, Auschwitz, Zeugnisse und Berichte, Köln, Frankfurt, 1979

7.2.5.2. La circulaire Pohl

Certains documents d'archives nazis révèlent la manière dont sont réparties et distribués les biens récupérés sur les victimes, dans la mesure où ils sont livrées au « service économique » de la SS. Un long rapport fait état de la distribution de 825 wagons de vêtements usagés :

B/Ch. 186

Secret

Le 6 février 1944

« Compte rendu sur l'utilisation faite à ce jour des matières textiles usagées, récupérées lors du transfert des Juifs.

La liste ci-jointe indique les quantités de vieilles matières récupérées dans les camps d'Auschwitz et de Lublin, à la suite des transferts des Juifs. La quantité de chiffons est évidemment fort élevée. C'est ce qui diminue d'autant les vêtements usagés utilisables, notamment en ce qui concerne les vêtements pour hommes. Il nous a donc été impossible de satisfaire pleinement la demande de vêtements pour hommes.

Les plus grandes difficultés furent causés par les transports par voie ferrée. Les interruptions continuelles de transports gênèrent l'évacuation des marchandises, qui s'accumulèrent parfois dans les différents camps.

L'arrêt des transports à destination de l'Ukraine, depuis le mois de décembre 1942, s'est fait le plus durement sentir. Il empêcha, en effet, la livraison de vêtements usagés destinés aux Allemands établis là-bas. C'est pourquoi toute la livraison a été détournée par la VOMI (Volksdeutsche Mittelstelle) et déposé dans un grand camp de Lodz. La VOMI en effectuera la livraison dès que la situation des transports sera rétablie quelque peu.

Jusqu'ici, le ministère de l'Economie du Reich a pu mettre à notre disposition le grand nombre de wagons dont nous avons besoin. Ce ministère continuera à intervenir auprès du Ministère des Transports du Reich, et fera valoir la mauvaise situation du secteur textile pour obtenir les wagons nécessaires au transport des matières usagées. »

Signé : Pohl, SS-Obergruppenführer et général des Waffen-SS

Signé : Kersten, SS-Hauptsturmführer.

En annexe à ce document, figurait une liste indiquant la quantité de matières textiles usagées, livrées par les camps de Lublin et d'Auschwitz, sur l'ordre de l'Office central de l'économie SS, comprenant 825 wagons de vêtements usagés, chaussures et chiffons livrés au ministère de l'économie du Reich, au ministère de la Jeunesse, à la VOMI et à d'autres administrations allemandes. Le plus gros client était le Ministère de l'Economie (570 wagons), qui était chargé de la récupération industrielle des chiffons et vêtements hors d'usage, tandis que les autres destinataires distribuaient aux Allemands indigents les vêtements en meilleur état.

Oswald Pohl
Oswald Pohl

7.2.5.3. La circulaire GlĂĽcks

L'utilisation industrielle des cheveux humains avait été ordonnée par la circulaire suivante :

Office central SS pour l'Economie et l'Administration

Groupe de Service D

Camps de concentration

 

Oranienburg, le 6 août 1942

Secret

Objet : Utilisation des cheveux

« Le chef de l'Office Central SS pour l'Economie et l'Administration a ordonné de récupérer les cheveux humains dans tous les camps de concentration. Les cheveux humains seront transformés en feutre industriel, après avoir été bobinés en fils. Dépeignés et coupés, les cheveux de femmes permettent de fabriquer des pantoufles pour les équipages des sous-marins, et des bas en feutre pour la Reichsbahn.

Il est ordonné par conséquent de conserver, après les avoir désinfectés, les cheveux coupés des détenues femmes. Les cheveux coupés des détenus hommes ne peuvent être utilisés qu'à partir d'une longueur de 20 mm.

C'est pourquoi le SS-Gruppenführer Pohl est d'accord pour qu'à titre expérimental les cheveux des détenus hommes ne soient coupés que lorsqu'ils ont atteint, après coupe, une longueur de 20 mm. Afin de prévenir les facilités d'évasion offertes par une chevelure plus longue, les détenus doivent être marqués, lorsque le commandant l'estime nécessaire, à l'aide d'une piste de cheveux (« Haarbahn »), découpée dans la chevelure à l'aide d'une tondeuse étroite.

On a l'intention d'utiliser les cheveux rassemblés dans tous les camps de concentration dans une entreprise installée dans l'un des camps. Des instructions plus détaillées sur la livraison des cheveux rassemblés vont suivre.

La quantité de cheveux rassemblés mensuellement (cheveux de femmes et d'hommes séparément), doit m'être communiqué avant le 5 septembre 1942.

Signé : Glücks, SS-Brigadeführer et General-Major de la Waffen-SS.

7.2.5.4. L’or dentaire

La collecte des métaux précieux sur les cadavres est effectuée par les Sonderkommandos qui travaillent en collaboration forcée avec les SS : ces Sonderkommandos sont gazés et renouvelés tous les quatre mois. Provisoirement épargnés, ces esclaves sont chargés de transporter les cadavres des chambres à gaz aux locaux de combustion, de les fouiller et de les détrousser ; ces opérations leur permettent de s'approprier une partie de l'or d'Auschwitz, de corrompre leurs gardiens, de fraterniser avec eux, et de vivre dans l'opulence… mais tous les quatre mois, les Maîtres assassinent les membres du Sonderkommando et en constituent un autre. Le docteur Nyiszli donne une description saisissante de ce cycle :

« Les dents et objets en or fournis chaque jour par les quatre crématoires produisent, après la fonte, entre trente et trente-cinq kilos d'or purs. La fonte s'effectue dans un creuset en graphite d'un diamètre d'environ cinq centimètres. Le poids d'un cylindre en or est de cent quarante grammes. Je le sais exactement pour l'avoir pesé sur la balance de précision de la salle de dissection.

Les médecins qui enlèvent les dents des cadavres avant l'incinération ne jettent pas tous les bridges dans le sceau d'acide sulfurique : une partie, plus ou moins importante, selon la surveillance des SS, va dans la poche des arracheurs de dents. Il en est de même pour les bijoux ou les pierres précieuses cousus dans les vêtements, ainsi que pour les monnaies en or laissées dans la salle de déshabillage. Là, ce sont les membres du Sonderkommando chargés de dépouiller les bagages à main qui en profitent. C'est une opération excessivement dangereuse, il y va de leur vie, car les gardes SS sont présents partout, et surveillent sévèrement les valeurs qui, désormais, appartiennent au IIIè Reich. Ils surveillent particulièrement l'or et les pierres précieuses.

Les hommes du Sonderkommando remettent également à la fonderie l'or qu'ils se sont ainsi procuré. Ils trouvent le moyen de l'y faire parvenir malgré la plus stricte surveillance, et de le reprendre ensuite sous forme de cylindre de cent quarante grammes. L'utilisation de l'or, c'est-à-dire son échange contre les marchandises utiles, est une opération encore plus difficile. Personne ne songe ici à conserver l'or, car chacun sait qu'il est un mort vivant, avec un sursis de quatre mois. Mais dans la situation où se trouvent les membres du Sonderkommando, quatre mois excessivement longs. Etre condamné à mort et effectuer un travail tel que celui qu'ils accomplissent est une épreuve qui broie le corps et l'âme et qui pousse plusieurs d'entre eux dans les abîmes de la folie. Il faut rendre la vie plus facile et plus supportable, même pour ce bref délai. C'est avec l'or qu'on y parvient.

Le cylindre en or de cent quarante grammes devint donc une unité d'échange. Dans la fonderie, il n'y a pas de creuset en graphite plus petit ; par conséquent, il n'y a pas de cylindre en or plus petit non plus. Ici la valeur des objets achetés n'a aucune signification. Celui qui donne l'or a déjà donné sa vie en entrant ici, tandis que celui qui donne quelque chose en échange de l'or joue deux fois sa vie. Une première fois en traversant les barrages de SS qui entourent le camp, et qui comportent quatre contrôles successifs, il introduit des articles difficiles à se procurer en Allemagne, même avec des titres de ravitaillement ; la deuxième fois, lorsque, à travers ce même barrage, il faut sortir l'or donné en échange. Car, aussi bien dans un sens que dans l'autre, il y a une fouille.

L'or s'en va dans la poche d'un homme du Sonderkommando, jusqu'à la porte du crématoire. Là un temps d'arrêt. L'homme du Sonderkommando s'approche du SS et échange quelques mots avec lui. Ce dernier lui tourne le dos et s'éloigne de la porte. Sur la voie ferrée qui passe devant le crématoire travaille une équipe de vingt à vingt-cinq ouvriers polonais, sous la conduite d'un chef. Sur un signe, ce chef d'équipe arrive avec un sac plié et en échange prend l'or enveloppé de papier. Le sac a franchi la porte, et se trouve à présent à l'intérieur du crématoire. Le lendemain, le chef d'équipe prend une nouvelle commande.

L'homme du Sonderkommando entre dans la salle de garde qui se trouve près de la porte. Il sort du sac une centaine de cigarettes et une bouteille d'eau-de-vie. Le SS entre également dans la salle de garde. Il empoche rapidement le flacon ainsi que les cigarettes. Il est content, cela va de soi, car le SS ne reçoit que deux cigarettes par jour et pas d'eau-de-vie du tout. Ici pourtant les cigarettes et l'eau-de-vie sont indispensables, aussi bien comme stimulant que comme narcotique. Les SS boivent, fument et les hommes du Sonderkommando en font de même. Par ce chemin parviennent ici les denrées les plus précieuses et les plus rares, telles que le beurre, le jambon, les oignons et oeufs.

L'or est procuré par un travail collectif, et la répartition des denrées obtenues en échange se fait sur les même bases. Les SS et les hommes du Sonderkommando sont largement approvisionnés en cigarettes, en eau-de-vie et en denrées de toute sorte. Tout le monde fait comme s'il ne savait rien, et personne ne veut rien savoir, car chacun y trouve son avantage. Pris à part, chaque gardien SS est très coopératif et maniable. Ils ne se méfient que les uns des autres. Par contre, ils savent que les hommes du Sonderkommando ne les trahiront pas. C'est pour cela que les cigarettes, l'eau-de-vie et la nourriture destinées aux SS sont remises en tête-à-tête à chacun d'eux par un homme du Sonderkommando.

C'est par la même voie qu'arrive chaque matin le « Völkischer Beobachter », l'organe gouvernemental du IIIè Reich. Prix mensuel de l'abonnement : un cylindre d'or. Celui qui apporte à un détenu d'Auschwitz tous les jours son journal durant trente jours mérite cette paye.

Depuis que je suis dans le crématoire, je suis le premier à le recevoir. Je le lis dans une cachette sûre, puis-je raconte les nouvelles du jour à un détenu préposé aux écritures. Ce dernier les transmet à ses compagnons. Au bout de quelques minutes, tout le monde connaît les derniers événements.

Le Sonderkommando est une formation d'élite dans le camp. Les détenus qui le constituent dorment dans une petite pièce chauffée, aérée et propre. Leurs lits sont propres et moelleux. Les couvertures sont chaudes, ils ont une excellente nourriture et sont bien habillés. Ils ont de quoi fumer et de quoi boire. En conséquence, ils ne perdent pas figure humaine comme le commun des hommes du camp, qui rampent dans leurs baraques sales emplies de poux ou qui, rendus sauvages par la faim, s'entre-déchirent pour un morceau de pain, ou pour la moitié d'une pomme de terre... »

Docteur Nyiszli Miklos : « Médecin à Auschwitz » Editions Famot, Genève, 1976.

7.2.6. J’étais membre du Sonderkommando

« Je m'appelle Dow Paisikovic, né le 1er avril 1924 à Rakowec (Tchécoslovaquie) actuellement domicilié à Hedera, lsraël.  En mai 1944, je fus amené de Munkacs (ghetto) au camp de concentration d'Auschwitz et j'y reçus le numéro de détenu A-3.076, qui me fut tatoué sur l'avant-bras gauche. »

L'arrivée à Auschwitz :

« Notre convoi fut soumis à une sélection.  Environ 60 % d'entre nous furent sélectionnés pour les chambres à gaz, les autres furent dirigés sur le camp.  Ma mère et mes cinq frères et soeurs furent aussitôt envoyés aux chambres à gaz.  Au moment de la sélection nous ignorions à quoi servait cette répartition.  Mon père et moi fûment affectés au camp C de Birkenau avec les aptes au travail, où nous devions, sans raison, porter des pierres. »

Incorporation dans le Sonderkommando :

« Le troisième jour arriva en civil dans notre partie du camp le SS-Hauptscharführer Moll, accompagné d'autres SS. Nous dûmes tous nous présenter à l'appel et Moll choisit les plus forts d'entre nous, exactement 250 au total. On nous amena sur la route qui traversait le camp; nous devions y prendre des pelles et d'autres outils. On nous amena à proximité des crématoires III et IV, où nous fûmes accueillis par des SS armés. Nous dûmes nous mettre en rang et cent d'entre nous furent détachés et amenés au crématoire III. Les autres durent continuer la marche en direction du bunker V (une maison de paysans où il était également procédé à des gazages) ; c'est là que le SS-Hauptscharführer Moll, arrivé à motocyclette, nous reçut dans son uniforme blanc. Il nous accueillit avec ces mots : « Ici vous aurez à bouffer, mais il vous faudra travailler.  » On nous mena de l'autre côté du bunker V ; la façade de ce bunker ne nous révélait rien de particulier, mais l'arrière nous fit voir à quoi il servait. »

Découverte du "travail" :

« Il y était entassé un amas de cadavres nus : ces cadavres étaient tout gonflés et on nous commanda de les porter jusque dans une fosse de six mètres de largeur et de trente mètres de longueur environ, où se trouvaient déjà des cadavres en train de brûler. Nous fîmes tous nos efforts pour amener ces cadavres au lieu indiqué. Mais les SS nous trouvaient trop lents. On nous battit terriblement et un SS nous ordonna : « Un seul homme par cadavre.  » Ne sachant comment exécuter cet ordre, nous fûmes encore battus et un SS alors nous montra qu'il fallait que nous prenions le cadavre par le cou avec la partie recourbée de la canne et l'amener ainsi de l'autre côté. Nous devions nous livrer à ce travail jusqu'à 18 heures. A midi, nous avions une demi-heure d'interruption. On nous apporta à manger, mais aucun de nous n'avait faim. Puis nous dûmes reprendre le travail. On nous amena au bloc 13 de la section D du camp de Birkenau, un bloc isolé. Ce soir-là, on nous tatoua (sur le bras) nos numéros de détenus. »

Suicides :

« Le lendemain, il nous fallut de nouveau marcher en colonnes, le groupe de cent au crématoire III, et nous autres, cent cinquante, au bunker V. Notre travail était le même. Il en fut ainsi pendant huit jours. Quelques-uns d'entre nous se sont jetés eux-mêmes dans le feu, parce qu'ils n'en pouvaient plus. Si j'avais à évaluer leur nombre aujourd'hui, je l'évaluerais à 8-9. Parmi eux se trouvait un rabbin. »

Le Sonderkommando du crématoire I :

« Le huitième soir, le kapo du Sonderkommando du bloc 13 m'a désigné pour accompagner le groupe de détenus au crématoire II avec la nourriture ; en effet, un détenu de ce groupe de travail n'était pas là et le nombre des sortants devait être le même que celui des arrivés. C'est ainsi que j'arrivai par hasard au Sonderkommando du crématoire I. Il y avait là un kommando de cent détenus, et au crématoire II il y en avait un de quatre-vingt-trois. Le kapo en chef des deux kommandos (crématoires I et II) était un Polonais du nom de Mietek. Au crématoire I, deux Russes non-juifs faisaient partie du Sonderkommando ; il y en avait dix au Sonderkommando du crématoire II. Tous les autres membres des deux kommandos étaient juifs, originaires surtout de Pologne, de Tchécoslovaquie et de Hongrie, ainsi qu'un Juif hollandais. Les Sonderkommandos dormaient dans les crématoires mêmes, un étage au-dessus des fours.

Notre kommando, tout comme le kommando II, fut réparti en une équipe de jour et une équipe de nuit de nombre égal. Le matin, nous nous présentions à l'appel dans la cour; on nous amenait sur le lieu du travail tandis que l'équipe de nuit était amenée dans la cour, comptée et pouvait alors se coucher.

Mon premier travail dans ce kommando fut le suivant : le kapo Kaminski, Juif de Pologne, m'avait chargé de creuser une fosse d'environ deux mètres de longueur, d'un mètre de largeur et d'un mètre de profondeur dans la cour du crématoire I. C'est dans ce trou que furent alors jetés les os sortant des fours crématoires. Une fois ce travail achevé, je fus affecté au transport des cadavres. »

Les chambres à gaz :

« Le gazage durait en principe trois à quatre minutes environ. Après quoi, pendant à peu près un quart d'heure, le système de ventilation était mis en marche. Puis, le contremaître ouvrait la porte de la chambre à gaz - toujours sous la surveillance d'un SS - et nous devions traîner les cadavres vers le monte-charge électrique. On pouvait monter quinze cadavres environ en une fois avec ce monte-charge. Nous devions porter les cadavres nous-mêmes, six hommes étaient affectés à ce travail. La plupart du temps, quelques-uns de ceux qui étaient à même le sol immédiatement auprès de la porte étaient encore en vie. Le SS les fusillait alors. La position des cadavres dénotait visiblement qu'en général la lutte contre la mort avait été terrible. Les corps étaient souvent déchiquetés; il est arrivé plus d'une fois que des femmes avaient accouché dans les chambres à gaz. En principe, 3 000 victimes se trouvaient dans la chambre à gaz. L'entassement était tel que les gazés ne pouvaient pas choir à terre. »

Les quinze fours du crématoire I :

« L'évacuation de 3 000 cadavres prenait environ six heures. Comme les quinze fours de ce crématoire mettaient environ douze heures pour brûler ces cadavres, ceux-ci étaient entassés dans la pièce devant les fours. Un autre groupe de notre Sonderkommando s'en chargeait. Lorsque nous avions vidé le bas de la chambre à gaz (en bas), notre groupe devait nettoyer la chambre à gaz à l'aide de deux tuyaux pour faire de la place pour le prochain gazage. Ensuite, nous devions aller aux fours crématoires et aider à transporter les cadavres vers les fours. Auprès des fours mêmes devaient travailler deux groupes de détenus, l'un de quatre et l'autre de six hommes. L'un devait s'occuper de sept fours, l'autre de huit. Ces groupes devaient enfourner les cadavres et veiller à une combustion convenable en se servant d'un long crochet. Comme la chaleur auprès des fours était très grande, ces groupes-là ne se voyaient pas attribuer d'autre travail ; pendant les interruptions de travail, ils pouvaient se rafraîchir. En dehors de cela ils n'étaient chargés que de l'évacuation de la cendre et des os tombés à travers le gril. La cendre était acheminée à la Vistule par les détenus escortés de SS. Le transport avait lieu par camions. »

Récupération des cheveux et des dents en or :

« Les cadavres mettaient environ quatre minutes à se consumer. Pendant que les cadavres étaient dans le feu, d'autres détenus devaient tondre les cheveux aux cadavres préparés pour l'incinération (seulement pour les cadavres de femmes) et deux détenus dentistes devaient récupérer les dents et les bagues en or. Ils le faisaient à l'aide de tenailles. Dans le mur de la pièce devant les fours était aménagée une grande fenêtre. Deux à trois SS qui étaient dans la chambre de l'autre côté de la fenêtre pouvaient constamment contrôler de là notre travail.

Lorsque les fours n'étaient pas en mesure de brûler tous les cadavres, les convois destinés au gazage étaient amenés au bunker V où le gazage pouvait se faire pratiquement sans interruption parce que les cadavres y étaient jetés directement dans les fosses. »

Le crématoire II :

« Quelques jours après mon arrivée au crématoire I, Mietek devint kapo en chef du Sonderkommando des crématoires I et II, Kaminski devint kapo du kommando I et Lemke (dont je ne connais pas le prénom) devint kapo du kommando du crématoire II. Kaminski et Lemke étaient des Juifs de Bialystok ; leur numéro de détenus était de la série des 83 000. Lemke me prit avec lui au crématoire II où était également mon père. Je restai dans ce kommando jusqu'à son évacuation (18 janvier 1945).

Le Sonderkommando entier (dépendant des crématoires I-IV et du bunker V) comprenait 912 détenus au total à l'époque où notre groupe lui fut adjoint à titre complémentaire. Les autres détenus du Sonderkommando, qui étaient déjà en place quand notre groupe y fut affecté, avaient des numéros entre 80 000 et 83 000 ; un groupe composé de Juifs de Cracovie avait des numéros dans les 123 000. Je ne sais pas de façon sûre si les autres avaient été sélectionnés pour le Sonderkommando immédiatement après leur arrivée au KZ (camp de concentration) ou s'ils étaient passés auparavant par d'autres kommandos. »

Les "spécialistes" :

« Quelques détenus restaient au Sonderkommando un temps assez long: par exemple le kapo en chef Mietek qui avait un numéro dans les 5 000 et qui avait été affecté au Sonderkommando par la compagnie disciplinaire ; et deux orfèvres - l'un du nom de Feldmann, était originaire de Tchécoslovaquie, l'autre, je ne me souviens plus de son nom - qui avaient pour tâche de fondre l'or récupéré. (Cela se passait dans une pièce spéciale du crématoire II où était centralisé tout l'or de tous les crématoires, pour être fondu en de grands cubes sous la surveillance des SS.) Tous les vendredis un officier supérieur SS venait chercher l'or. De plus, le Juif tchèque Filipp Müller était au Sonderkommando depuis aussi longtemps que Mietek. Il était venu par un convoi de Theresienstadt et put survivre aux sélections du Sonderkommando parce qu'il était protégé par un SS originaire des Sudètes. Müller aurait pu devenir kapo au Sonderkommando. Mais il n'a pas voulu. De plus, un Juif de Paris, dénommé « Oler », était depuis longtemps au Sonderkommando. Il était artiste peintre et, pendant tout le temps que je connus le kommando, il avait l'unique tâche de peindre des tableaux pour les SS, il était dispensé de tout autre travail pour le Sonderkommando. »

Le sort du Sonderkommando :

« Nous savions qu'à part les exceptions mentionnées, les détenus de l'ancien Sonderkommando étaient gazés. Ces gazages s'effectuaient par groupes, tout comme se faisaient par groupes les affectations au Sonderkommando. Un groupe du kommando spécial provenait du camp de Majdanek près de Lublin. Là déjà les détenus faisaient partie d'un kommando spécial affecté au même travail. »

L'alcool :

« Comme il incombait à notre kommando de fouiller les vêtements des détenus suspendus dans les salles de déshabillage, nous avions la possibilité de nous approprier beaucoup de ravitaillement, d'alcool, d'or et de devises. La SS tolérait que nous mangions et même buvions de ces provisions. Ainsi, nous conservions nos forces. Nous n'en cherchions pas moins tous les jours la soupe (du camp) et les rations du secteur du camp pour ne pas perdre le contact avec le camp de Birkenau. J'étais en général avec le groupe qui cherchait le manger à la cuisine du camp de ce secteur. En général, nous étions escortés sur ce chemin par un vieil SS dur d'oreille ; lui seul ne nous a jamais battus et regardait toujours de l'autre côté lorsqu'il se passait quelque chose qu'il ne devait pas remarquer. C'est ainsi que nous pouvions jeter le pain ramassé et dont nous n'avions pas besoin, à des détenus d'autres secteurs du camp qui l'attendaient déjà. Nous buvions surtout beaucoup d'alcool. A cette condition-là, nous pouvions effectuer notre travail. »

La résistance :

« Au Sonderkommando de chaque crématoire, il y avait un groupe qui tâchait de se préparer à une résistance. Ces groupes étaient en contact entre eux et avec des groupes de résistants à Birkenau et même au camp principal d'Auschwitz. J'appartenais à ce mouvement. Nous passions de l'or et des devises en fraude à nos camarades dans le camp ; ils employaient ces objets de valeur afin de pouvoir mieux organiser la résistance. Je me souviens de trois frères de Bialystok qui déployaient une activité toute spéciale dans ce sens. Même les Russes de notre kommando - il s'agissait d'officiers supérieurs - étaient très actifs. De tous les détenus de notre convoi en provenance de Hongrie, seuls mon père et moi étions au courant de cette organisation de résistance. Quelque temps après, mon père se vit attribuer la tâche de concierge du crématoire II. »

L'arrivée des convois de Hongrie et de Lodz :

« Notre convoi était le troisième de la longue série de convois de Juifs en provenance de Hongrie. (L'Ukraine subcarpathique, d'où je suis originaire, avait été à l'époque attribuée à la Hongrie.)

Tous les jours, des convois arrivaient de Hongrie à cette époque, et entre temps des convois d'autres pays et des « musulmans » au camp. Il ne se passait guère de jour sans qu'il y eût de gazage. Chaque fois, nous avions à nettoyer le crématoire tout entier. Comme les SS nous donnaient des ordres pour préparer les fours (en les faisant chauffer, etc.), nous savions quand un convoi était attendu. Après les grands convois de Hongrie, l'action suivante fut celle du ghetto de Lodz. Tous les jours - je crois que c'était en août 1944 - deux de ces convois arrivaient de Lodz. »

Liquidation du Sonderkommando :

« Une fois achevée ce qu'on nommait l'action de Hongrie, les Juifs hongrois qui avaient été affectés à l'époque au Sonderkommando furent liquidés. Mon père et moi-même n'avions échappé à cette action d'extermination que parce que nous avions été affectés au Sonderkommando du crématoire II ; les autres détenus de notre convoi étaient au bunker V et aux crématoires III et IV. Ces détenus furent conduits au camp principal d'Auschwitz et y furent gazés. Les cadavres furent amenés de nuit au crématoire II et brûlés par les SS eux-mêmes, cependant que tout notre kommando était consigné à la chambre. Nous avons été au courant parce qu'on nous fit emporter les vêtements des détenus. Nous reconnaissions les vêtements et les numéros des détenus. Après l'action d'extermination de Lodz, d'autres détenus du Sonderkommando furent encore liquidés ; la plupart d'entre eux étaient affectés au bunker V, un petit groupe faisait partie du Sonderkommando des crématoires III et IV. La procédure de liquidation était identique. Il s'agissait d'environ deux cents détenus au total. Pendant tout le temps que je passai au Sonderkommando (de mai 1944 jusqu'à l'évacuation, en janvier 1945) aucun détenu nouveau n'y fut affecté.

Les crématoires étaient si solidement construits que pendant tout ce temps je n'eus connaissance d'aucune défaillance de fours ni de crématoires tout entiers. A plusieurs reprises, le monte-charge des cadavres tomba en panne parce qu'il était trop plein. Souvent, des officiers SS de la direction des constructions venaient inspecter les crématoires. »

Dissections :

« Un médecin détenu hongrois devait procéder à des dissections dans une salle spéciale. Il opérait sous la surveillance d'un médecin SS dont je ne me rappelle plus le nom. Dans cette salle, il y avait une table de dissection. On faisait surtout des dissections d'êtres anormalement constitués (par exemple des bossus) et de jumeaux. Je me souviens avec précision que le Dr Schumann était lui aussi présent à ces dissections et en supervisait certaines. Les détenus désignés pour opérer ces dissections furent exécutés, non dans les chambres à gaz, mais par des injections. On récupérait également le sang et divers organes de ces détenus pour en approvisionner des hôpitaux militaires. »

Plan de révolte :

« Depuis un certain temps déjà nous projetions une révolte. Le noyau de cette organisation se trouvait dans notre crématoire II. Les Russes étaient les meneurs, de même que les kapos Kaminski et Lemke. Lorsqu'en automne 1944 les actions d'extermination furent complètement arrêtées, sur ordre de Berlin, et qu'on nous donna pour tâche d'effacer les traces de l'action d'extermination, nous comprîmes que le moment de notre propre liquidation approchait. Notre révolte devait la prévenir. Voici quel était le plan : un jour où il n'y aurait pas de convoi et par conséquent pas de renfort de SS près des crématoires, notre groupe qui emportait régulièrement la nourriture de ce secteur du camp pour la porter aux divers crématoires, viendrait avec des bidons d'essence là où chaque crématoire se ravitaillait. Seul, au crématoire I, on n'apporterait pas d'essence, parce que ce n'était pas utile. Au bunker V, il n'y avait à cette époque plus de Sonderkommando, l'extermination y ayant déjà été complètement arrêtée. L'essence avait été préparée par l'organisation de résistance à la section D du camp. »

Echec de la révolte :

« Un dimanche du début d'octobre je crois que ce devait être le 6 ou le 7 octobre - la révolte devait être déclenchée. Les détenus désignés pour apporter la nourriture furent choisis ce jour-là de telle sorte que seuls y allaient les initiés au plan. Tous venaient du crématoire II. J'étais du nombre. Nous amenâmes les bidons d'essence camouflés en soupe aux crématoires IV et III, mais lorsque nous arrivâmes à notre crématoire II, nous entendîmes déjà des coups de feu partis des crématoires III et IV, et vîmes un début d'incendie. Le plan avait été de commencer la révolte par un feu allumé à notre crématoire II. Son déclenchement prématuré le fit échouer. Les SS donnèrent aussitôt l'alarme et tous les détenus du crématoire II durent se rendre à l'appel. Le SS-Oberscharführer Steinberg, chef du crématoire II, nous compta; lorsqu'il se rendit compte que personne ne manquait, on nous enferma tous dans la salle de dissection. »

Tentatives d'évasion :

« Le crématoire III était en feu et les détenus du Sonderkommando des crématoires III et IV coupèrent les fils et s'évadèrent ; certains furent abattus sur-le-champ. Au crématoire I, les détenus du Sonderkommando coupèrent également la clôture électrique avec des ciseaux isolés et s'enfuirent. Il était prévu que les barbelés du camp des femmes seraient également coupés afin de leur permettre une fuite en masse. Cependant, en raison du déclenchement prématuré de la révolte ce ne fut plus possible. Les SS réussirent à rattraper tous les fugitifs. Le soir même, un groupe d'officiers SS arriva devant notre crématoire et nous enjoignit de faire sortir vingt des nôtres pour reprendre le travail. Or, nous étions persuadés qu'en dépit de toutes les dénégations, on nous répartirait en groupes pour mieux nous liquider ; nous refusâmes donc de sortir de la salle de dissection. Les SS amenèrent alors du renfort et forcèrent vingt détenus à travailler. Bientôt de la fumée s'éleva du crématoire I. Nous en conclûmes que les vingt camarades avaient bien été amenés au travail. Leur tâche consistait à brûler les cadavres de ceux qui avaient été tués pendant leur évasion. C'est ainsi que tous les détenus du kommando spécial des crématoires I, III et IV furent massacrés. De notre kommando, un seul détenu fut tué ; c'était celui qui avait coupé les pneus de la bicyclette d'un SS pour l'empêcher de s'en servir : le SS - surnommé le « Rouge » - a battu ce détenu jusqu'à ce que mort s'ensuive. »

Le SS Holländer :

« De ce jour, les crématoires I, III et IV furent fermés. Les crématoires III et IV étaient détruits par la révolte et inutilisables, le crématoire I restait intact. Il n'y eut plus de gazage dans aucun crématoire. On nous fit brûler les cadavres qui arrivaient du camp; de petits groupes de détenus et de civils furent fusillés dans notre crématoire à partir de ce moment-là. Ces exécutions avaient lieu à l'étage au-dessus. Elles étaient l'oeuvre d'un certain SS-Unterscharführer Holländer, qui, en principe, tirait un coup de fusil dans la nuque ; l'arme était munie d'un dispositif qui étouffait le son. Holländer nous était déjà connu pour sa cruauté particulière. Il a battu les détenus destinés au gazage, jeté des enfants contre le mur, etc. A notre égard, détenus du Sonderkommando, Holländer était toujours aimable. Holländer était de taille moyenne, maigre ; il avait le visage allongé, des cheveux châtains et pourrait être originaire d'une région voisine de la Yougoslavie. Il avait environ trente-deux ans. »

L'évacuation d'Auschwitz :

« Quatre-vingt-deux détenus du Sonderkommando - c'étaient nous, ceux du crématoire II - ont survécu jusqu'à l'évacuation d'Auschwitz. Lors de cette évacuation, le 18 janvier 1945, la troupe de SS était déjà en pleine désorganisation. Nous en profitâmes pour marcher vers le camp D. Dans la course, un bon nombre d'entre nous furent tués d'une balle ; je ne saurais dire combien, pressé que j'étais d'arriver au camp. Tous les détenus du camp D furent amenés au camp principal d'Auschwitz, c'est là que les SS recherchaient, de nuit, ceux qui avaient été affectés aux crématoires et qu'ils pouvaient reconnaître pour avoir fait partie du Sonderkommando. Personne évidemment ne s'est présenté à l'appel. Quiconque était découvert était fusillé sur-le-champ. Mon père et moi, nous nous cachâmes sous un lit. Je ne peux rien dire de plus, sinon que Filip Müller et Bernhard Sakal (qui vit actuellement en Israël et est originaire de Bialystok) ont pu également sauver leur peau. »

Le journal du Sonderkommando enfoui :

« Il y eut aussi au Sonderkommando II un certain Léon, le cuisinier, Juif polonais qui avait vécu à Paris ; il était déchargé du travail général du Sonderkommando, étant affecté à la cuisine des SS. Il ne devait travailler au service des cadavres comme nous tous que s'il y avait vraiment beaucoup de travail. Nous étions très liés et j'ai appris ainsi que Léon avait pris des notes dès le moment où il fut affecté au Sonderkommando. Il a tenu une sorte de journal et noté les crimes des SS, ainsi que les noms de certains criminels SS. De plus, il a ramassé des documents, des passeports, etc., trouvés près des vêtements des assassinés et qui lui semblaient importants. Aucun d'entre nous n'a lu ces notes, mais je savais qu'elles existaient. Le mercredi qui précéda la révolte, j'ai enfoui tous ces documents en un lieu que j'ai soigneusement conservé dans ma mémoire. Les papiers se trouvaient dans un grand récipient en verre (contenance environ cinq litres), qui avait été graissé et hermétiquement fermé. Puis nous plaçâmes ce récipient en verre dans une caisse en béton que nous avions coulée. Cette caisse en béton fut enduite de graisse à l'intérieur, puis fermée au béton. Nous y enfermâmes également des cheveux de cadavres, des dents, etc., mais par principe aucun objet de valeur, afin que ceux qui trouveraient un jour cette boîte ne soient tentés de la piller pour s'emparer de tels objets de valeur. Le rabbin de Makow et Zalmen Rosenthal prirent des notes qui furent enfouies ailleurs je ne sais où. »

Les gazages :

« Pour finir, je voudrais encore décrire comment se passait une action de gazage. Nous avons vu de quelle façon on procédait aux sélections à l'arrivée des convois à la rampe.  Ceux qui étaient sélectionnés pour le travail étaient conduits aux sections C et D du camp, ceux qui étaient destinés au gazage étaient conduits au FKL (camp de concentration pour femmes). Ceux qui étaient capables de marcher étaient amenés au crématoire à pied ; les autres étaient chargés sur des camions. Au crématoire on faisait basculer le camion et on jetait les malades à terre. Une voiture d'ambulance avec la Croix-Rouge amenait les boîtes de gaz. Tous étaient conduits à la salle de déshabillage, les SS leur ordonnaient d'enlever leurs vêtements. On leur disait qu'ils devaient se laver. Auprès de chaque crochet il y avait un numéro et on leur recommandait de bien retenir ce numéro. Tous ceux qui avaient encore des paquets devaient les déposer devant la salle de déshabillage. Des voitures amenaient ensuite ces effets au « Canada ».

On commençait toujours par les femmes et les enfants. Lorsque ceux-ci étaient nus, les SS les conduisaient à la chambre à gaz. On leur disait qu'ils devaient attendre que l'eau arrive. Ensuite, les hommes devaient se déshabiller et se rendre également dans la chambre à gaz. Chacun devait nouer ses chaussures et les emporter. Avant de pénétrer dans la chambre à gaz, il devait remettre ses chaussures en passant à deux détenus. La plupart d'entre eux n'ont pas su ce qui leur arrivait. Parfois, ils savaient quand même quel sort les attendait. Alors ils priaient souvent. Il nous était défendu de parler avec les [détenus des] convois.

Dès que les femmes étaient déshabillées et dans la chambre à gaz, un kommando de chez nous devait enlever les vêtements et les emmener au Canada; les hommes se trouvaient de nouveau en présence d'une salle de déshabillage vide et propre. Ceux qui étaient incapables de se déshabiller eux-mêmes devaient être aidés par des détenus de notre kommando. Deux détenus étaient régulièrement accompagnés d'un SS. Seuls, les détenus qui semblaient aux SS particulièrement dignes de confiance étaient affectés à ce travail.

A chaque action de gazage, plusieurs officiers SS étaient, en plus, présents. Le gaz était jeté, dans notre crématoire, soit par le Hollandais, soit par le « Rouge », qui se relayaient par équipes. Ils mettaient des masques à gaz à cet effet. Souvent, le gaz n'arrivait pas en temps voulu. Les victimes devaient alors attendre assez longtemps dans la chambre à gaz. On entendait les cris de très loin.

Souvent, les SS se livraient aussi à des excès particulièrement sadiques. C'est ainsi que des enfants furent fusillés dans les bras de leurs mères juste devant la chambre à gaz, ou jetés contre le mur. Quand l'un des arrivants disait un seul mot contre les SS, il était fusillé sur place. La plupart du temps de tels excès n'avaient lieu que lorsque des officiers supérieurs étaient présents. Lorsque la chambre à gaz était trop remplie, on jetait souvent des enfants qui ne pouvaient plus y entrer par-dessus la tête de ceux qui s'y trouvaient déjà. Du fait de la compression, d'autres victimes étaient tuées par piétinement. Les SS nous répétaient souvent qu'ils ne laisseraient pas survivre un seul témoin.

Cette description correspond en tout point à la vérité et a été faite en mon âme et conscience. »

7.2.7. Le témoignage de Rudolf Höss

Commandant du camp d’Auschwitz de mai 1940 à novembre 1943, Rudolph Höss (A ne pas confondre avec Rudolph Hess, le « dauphin » de Hitler) est arrêté en zone britannique, puis transféré à Nuremberg, puis de nouveau transféré à Varsovie où il est jugé et condamné à être pendu sur le lieu de ses crimes en avril 1947. Plusieurs fois interrogé par les Anglais, puis à Nuremberg, puis en Pologne, il a rédigé avant de mourir une effarante autobiographie où il avoue ses crimes comme dans ses précédents interrogatoires, sans renier pour autant ses convictions nazies. (R. Hoess, Le Commandant d’Auschwitz parle, Julliard 1959, réédité en 1979 chez Maspéro).

Ses aveux sont d’autant plus intéressants que c’est lui qui a expérimenté le Zyklon B et fait construire les quatre grands blocs crématoires - chambres à gaz d’Auschwitz II - Birkenau. Son récit a naturellement été suspecté d’avoir été écrit sous la torture. Il comporte quelques erreurs et contradictions (notamment sur le nombre des victimes). Mais il est conforme aux témoignages des survivants (Vrba, Wetzler, Nyisli) et de plusieurs de ses subordonnés (Pery Broad et huit anciens SS interrogés lors des procès d’Auschwitz, notamment celui de Francfort en 1963-1965). 

« Le règlement définitif de la question juive signifiait l’extermination totale de tous les Juifs d’Europe. En juin 1941, je reçus l’ordre d’organiser l'extermination à Auschwitz. A cette époque le Gouvernement Fédéral de Pologne comptait déjà trois autres camps d’extermination : Belzec, Treblinka et Wolzek (Maïdenek ?)... Je me rendis à Treblinka pour voir comment s’effectuaient les opérations d’extermination. Le commandent du camp de Treblinka me dit qu’il avait fait disparaître 80 000 détenus en six mois il s’occupait plus particulièrement des Juifs du ghetto de Varsovie. »

« Il utilisait l’oxyde de carbone. Cependant, ses méthodes ne me parurent pas très efficaces. Aussi, quand j'installai le bâtiment d’extermination d’Auschwitz, mon choix se porte sur le Zyklon B, acide prussique cristallisé, que nous laissions tomber dans la chambre par une petite ouverture. Selon les conditions atmosphériques, il fallait compter de trois à quinze minutes pour que le gaz fit son effet. Nous savions que les gens étaient morts lorsqu’ils cessaient de crier. Ensuite nous attendions environ une demi-heure avant d'ouvrir les portes et d’enlever les corps. Une fois les corps sortis, nos commandos spéciaux leur retiraient bagues et alliances ainsi que l’or des dents. »

« Nous apportâmes également une autre amélioration par rapport à Treblinka en construisant des chambres à gaz pou vent contenir 2 000 personnes à la fois, alors qu’à Treblinka leurs dix chambres à gaz n’en contenaient chacune que 200. »

« A Auschwitz, nous avions deux médecins SS qui étaient chargés d’examiner chaque nouvel arrivage de prisonniers. On les faisait défiler devant l’un des docteurs, qui prenait une décision au fur et à mesure qu’ils passaient devant lui. Ceux qui étaient jugés bons pour ce travail étaient envoyés à l’intérieur du camp. Les autres étaient aussitôt dirigés sur les installations d’extermination. Les enfants en bas âge étaient invariablement exterminés, puisque, en raison de leur jeunesse, ils étaient inaptes au travail. »

« Nous apportâmes encore une autre amélioration par rapport à Treblinka : les victimes savaient presque toujours qu’elles allaient être exterminées ; à Auschwitz nous nous efforçâmes de leur taire croire qu’elles allaient subir un épouillage. Bien entendu, elles ont fréquemment deviné nos intentions et nous avons connu des incidents et des difficultés. Très souvent, les femmes dissimulaient leurs enfants sous leurs vêtements, mais, dès que nous les découvrions, nous envoyions ces enfants dans les chambres à gaz. »

« On nous avait ordonné de procéder à ces exterminations dans le secret, mais, inévitablement, l’odeur nauséabonde provenant des corps que l'on brûlait d’une manière continue envahissait les alentours, et tous les habitants des communes avoisinantes savaient que des exterminations se poursuivaient à Auschwitz. »

7.2.8. « Anus mundi »

Le « Doktor » Johann Paul Kremer
Le « Doktor » Johann Paul Kremer

Journal de Jean Paul Kremer, professeur à l’université de Munster, muté à Auschwitz. Septembre – octobre 1942

Le Dr. Kremer arrive à Auschwitz le 30 août, 1942, pour remplacer un docteur tombé malade. Son journal intime est remarquable non seulement pour ses mentions explicites du processus de gazage, mais pour la manière avec laquelle Kremer relate les choses du quotidien, que l’on pourrait trouver dans n'importe quel journal intime : où il a déjeuné, ce qu'il a mangé, quels films il a vu, etc... Cette page du journal inclut son premier témoignage au sujet d’une « action spéciale » (gazage). Quelques extraits :

1 septembre 1942 :

« Von Berlin schriftlich Führermütze, Koppel und Hosenträger angefordert. Nachmittags bei der Vergasung eines Blocks mit Zyclon B gegen die Läuse. »

« J'ai écrit à Berlin pour commander une ceinture en cuir et des bretelles. J'ai assisté l'après-midi à la désinfection d'un bloc avec du Zyklon B, afin de détruire les poux. »

2 septembre 1942 :

« Zum 1. Male draussen um 3 Uhr früh bei einer Sonderaktion zugegen. Im Vergleich hierzu erscheint mir das Dante'sche Inferno fast wie eine Komödie. Umsonst wird Auschwitz nicht das Lager der Vernichtung genannt! »

« Ce matin à trois heures, j'ai assisté pour la première fois à une « action spéciale » à l’extérieur. En comparaison, l'enfer de Dante me paraît une comédie. Ce n'est pas pour rien qu'Auschwitz est appelé camp d'extermination ! »

3 septembre 1942 :

« Zum 1. Male an der hier im Lager jeden befallenden Durchfällen mit Erbrechen und kolikartigen anfallsweisen Schmerz erkrankt. Da ich keinen Tropfen Wasser getrunken, kann es hieran nicht liegen. Auch das Brot kann so nicht schuld sein, da auch solche erkranken, die nur Weißbrot (Diät) zu sich genommen haben. Höchstwahrscheinlich liegt's an dem ungesunden kontinentalen und sehr trockenen Tropenklima mit seinen Staub- und Ungeziefermassen (Fliegen). »

« Malade pour la première fois avec la diarrhée, des attaques de vomissement et de colique typiques qui frappent chacun ici dans le camp. Ce ne peut pas être l'eau car je n'ai pas bu une goutte. Ce ne peut pas être non plus le pain, car ceux qui mangent uniquement du pain blanc (régimes spéciaux) sont également malades. La raison en est plus probablement le climat tropical continental très sec et très malsain avec sa poussière et ses masses de vermine (mouches). »

4 septembre 1942 :

« Gegen die Durchfälle : 1 Tag Schleimsuppe und Pfefferminztee, dann Diät für eine Woche. Zwischendurch Kohle und Tannalbin. Schon erhebliche Besserung. »

« Contre les diarrhées : une journée de soupe aux flocons d’avoine et tisane à la menthe, puis régime durant une semaine. A intervalles régulières, charbon et Tannalbin. Cela va déjà nettement mieux. »

5 septembre 1942 :

« Heute nachmittag bei einer Sonderaktion aus dem F.K.L. (Muselmänner) : das Schrecklichste der Schrecken. Hschf. Thilo (Truppenarzt) hat Recht, wenn er mir heute sagte, wir befänden uns hier am Anus Mundi. Abends gegen 8 Uhr wieder bei einer Sonderaktion aus Holland. Wegen der dabei abfallenden Sonderverpflegung, bestehend aus einem fünftel Liter Schnaps, 5 Zigaretten, 100g Wurst und Brot, drängen sich die Männer zu solchen Aktionen. Heute und morgen (Sonntag) Dienst. »

« Assisté cet après midi à une « action spéciale » au camp de concentration des femmes (« Muslulmanes »). La plus terrifiante des épouvantes. Le Hauptscharführer Thilo (médecin militaire) avait raison, lorsqu’il m’a dit ce matin qu’ici, nous nous trouvons dans l’« anus mundi », l’anus du monde… Ce soir à nouveau, vers 8 heures, j’ai assisté à une « action spéciale » de Hollandais. En raison des rations spéciales qu’ils obtiennent et qui se composent d’un cinquième de litre de schnaps, de 5 cigarettes, de 100g de saucisse et de pain, les hommes se bousculent pour participer à de telles actions. Aujourd'hui et demain (dimanche), de service. »

6 septembre 1942 :

« Aujourd'hui mardi, déjeuner excellent : soupe de tomates, un demi poulet avec des pommes et du chou rouge, petits fours, une merveilleuse glace à la vanille. Parti à 8 heures pour une « action spéciale », pour la quatrième fois. »

23 septembre 1942.

Assisté la nuit aux sixième et septième « actions spéciales ». Le matin, l'Obergruppenführer Pohl est arrivé avec son état-major à la maison des Waffen SS. Près de la porte, la sentinelle m'a présenté les armes. Le soir à vingt heures, dîner dans la maison des chefs avec le général Pohl, un vrai banquet. Nous eûmes de la tarte aux pommes, servie à volonté, du bon café, une excellente bière et des gâteaux. (...)

7 octobre 1942 :

« Assisté à la neuvième « action spéciale ». Étrangers et femmes. »

11 Octobre 1942 :

« Aujourd'hui, samedi, il y avait au déjeuner du lièvre rôti (une vraiment grosse cuisse) avec des boulettes et du chou rouge pour 1,25 Reichsmark »…

12 octobre 1942.

« Inoculation contre le typhus. A la suite de quoi, état fébrile dans la soirée ; j'ai néanmoins assisté à une « action spéciale » dans la nuit (1 600 personnes de Hollande). Scènes terribles près du dernier Bunker. C'était la dixième « action spéciale »

Le 18 juillet 1947, Kremer témoigne encore lors de son procès à Cracovie.

« Les gazages des femmes épuisées du camp de concentration, des cachectiques qu'on désignait généralement sous le terme de « musulmans » était particulièrement pénible. Je me souviens que j'ai pris part une fois au gazage d'un groupe de femmes. Je ne saurais plus dire combien il y en avait. Lorsque j'arrivai près du Bunker, elles étaient assises par terre, encore habillées. Comme leurs tenues du camp étaient en loques, on ne les admettait pas dans la baraque de déshabillage ; elles devaient se déshabiller en plein air. De leur comportement, j'ai déduit qu'elles savaient ce qui les attendait, car elles pleuraient et imploraient les SS. Mais toutes furent chassées dans les chambres à gaz et gazées. En tant qu'anatomiste, j'avais vu beaucoup de choses affreuses, j'avais eu souvent affaire à des cadavres, mais ce que je vis cette fois-là dépassait toute comparaison. C'est sous ces impressions que je ressentis alors que j'écrivis dans mon journal le 5 septembre 1942 : « Le plus terrifiant de l'horrible. Le Hauptscharführer Thilo avait bien raison de me dire aujourd'hui que nous nous trouvions dans l'anus du monde ». J'ai employé cette expression parce que je ne pouvais m'imaginer quelque chose de plus affreux et de plus monstrueux. »



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