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La déportation en France, témoignages…

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3. La rafle du Vel d’Hiv

Souvenirs d'un déporté de la rafle du Vel d'Hiv' :16 juillet 1942
Maurice Rajsfus : Vincennes 1942, cent « disparus »
Témoignage d’une assistante sociale
Indignation des résistants après la rafle du 16 juillet 1942
Les lettres de Marie Jelen

3.2. Maurice Rajsfus : Vincennes 1942, cent « disparus »

Maurice Rajsfus, est le fils de parents Juifs polonais arrivés en France au début des années 1920. Ils ont été mariés par le maire d'Aubervilliers, Pierre Laval, « alors encore avocat pacifiste ». En juillet 1942, il est arrêté avec ses parents lors de la rafle du Vél d’Hiv’ rafle du par un policier « un temps voisin de palier (...) » Lorsque, en 1988, Rajsfus tentera de l'approcher (« pour comprendre »), le retraité l'éconduira d'un brutal: « Ça ne m'intéresse pas! » Maurice Rajsfus, qui a alors 14 ans, est relâché à la suite d'un ordre excluant les Juifs de 14 à 16 ans de la rafle. Ses parents ne reviendront pas.

Sociologue, historien, témoin « atrocement privilégié, militant (Président de « Ras le Front ») il raconte la rafle telle qu'elle eut lieu dans sa ville de Vincennes. Il avait quatorze ans à peine, sa soeur Jenny, seize, le jour où « ils » sont venus.

Vincennes, 1942, 16 juillet. Si les finances familiales excluaient tout projet de voyage au-delà du bois, c'était quand même les vacances, les enfants mangeaient à leur faim. « Ils sont venus ». Pas les Allemands. Toute la famille portait alors l'étoile jaune depuis « quarante jours », la durée, dit-on, du Déluge.

Cinq heures du matin n'avaient pas sonné quand la police de Pétain s'est mise à cogner du poing sur la porte du logis : vingt-cinq mètres carrés d'une maison des années trente ; non loin du bois d'où, dit-on, parfois sortent les loups. Mais ceux-là venaient de la ville.

« Le problème, pour mes parents comme pour tous les Juifs immigrés et une grande partie des Juifs français, c'est qu'en octobre 1940, après la première ordonnance allemande obligeant les Juifs de la zone occupée à se déclarer dans les commissariats, ils ont obéi. Pourquoi ? La réponse est simple : rien n'est pire, pour un étranger, que d'être en rupture avec la légalité. Ils ne pouvaient se soustraire, parce qu'ils étaient connus et reconnaissables, ne serait-ce qu'à leur accent : mon père avait fui la Pologne en 1923.

Ils ont obéi, parce que ne pas se déclarer, cela voulait dire se cacher, avoir de l'argent (mon père travaillait sur un chantier de travaux publics, depuis qu'on lui avait interdit, en tant que Juif, de tenir son commerce sur les marchés) ; se cacher, ça voulait dire changer d'identité, de localité. Ils ont obéi, parce qu'en octobre 1940 tout le monde, à peu près, avait le sentiment qu'on en avait pris pour cinquante ans.

Le malheur, c'est que cette déclaration a permis de constituer des listes qui, à leur tour, ont permis les arrestations de mai 1941, puis la rafle du Vél' d'Hiv'. Les nazis avaient demandé aux responsables de la collaboration de se saisir de 35 000 Juifs étrangers. Pour tenir le chiffre, par zèle, ces responsables ont fait embarquer les enfants, ce qui ne figurait pas dans l'ordonnance nazie. C'est ainsi qu'à Vincennes plus d'une centaine de personnes « disparurent » du jour au lendemain. On les entassa quelques heures dans un petit pavillon, sorte de « camp de concentration miniature », avant de les expédier à Drancy, direction Auschwitz.

Pour Maurice Rajsfus, ce fut comme si sa mère avait une seconde fois mis au monde, un autre monde, ses deux enfants : « C'était un centre de regroupement secondaire. Nous y avons passé la journée. Puis un gradé a dit que les enfants de plus de quatorze et de moins de seize ans pouvaient sortir. Ma mère nous fit comprendre qu'il fallait y aller. Son intuition fit que, sur la trentaine d'enfants entassés là, ma soeur et moi nous fûmes les seuls à ressortir. Nous sommes partis comme poussés dehors, avec le pressentiment que mieux valait prendre du champ, et vite... De retour au logement, j'ai voulu récupérer les clés. La concierge n'y était pas. J'ai grimpé à l'étage, trouvé la porte ouverte, la concierge était chez nous. Elle « faisait » les placards.

C'est ainsi qu'à l'automne 1944, le lycéen Maurice Rajsfus ne retrouva pas les bancs d'une classe. Apprenti joaillier, il passa des billes de verre colorées aux pierres précieuses, ce qui n'était pas précisément sa vocation ; tandis que Jenny, sa soeur, poursuivait des études qui, évidemment, ne rapportaient pas un centime de salaire... Plus tard, en 1980, il se mit à écrire.

Un nombre assez impressionnant d'ouvrages. Dans les trois derniers publiés, il relate des souvenirs, retourne des archives. Au registre des bons souvenirs, citons une belle tranche de gruyère reçue en pourboire et une rencontre avec l'acteur Michel Simon. Parmi ceux qui tiennent du cauchemar, il faut citer le jour où il croisa le chemin d'un diamantaire antisémite (Maurice portait toujours l'étoile jaune), qui finit, en guise de « cadeau de Noël », par écraser sur le crâne de l'adolescent affamé un oeuf ; et cet autre jour où un « bon Français », avisant son insigne, lui ordonna de quitter la voiture du métro dans laquelle il s'était engouffré, pressé, pour monter dans la dernière, réservée aux Juifs. Citons, enfin, le crachat reçu d'un officier allemand inconnu, en pleine rue. Maurice Rajsfus, aujourd'hui : « Celui-là, il était plus dans son rôle que le salaud de lapidaire avec son oeuf ! »

Il évoque aussi la commande reçue un jour par son patron pour une dizaine de bagues en platine ornée de croix gammées en saphirs... Ça réveille en lui sa colère contre les acteurs économiques et industriels profiteurs de guerre : « Ils faisaient comme si la guerre n'était pas passée par là, comme si les Allemands n'étaient pas là. J'ai retrouvé un document par lequel une célèbre entreprise textile offrait ses services pour la production de 5 000 mètres de tissu destiné à la confection des étoiles jaunes. J'ai aussi retrouvé trace du fondeur qui prépara la forme, et celle de l'imprimeur. Alors que le travail de nuit était interdit sous l'Occupation, j'ai mis la main sur une demande de dérogation envoyée par ces gens-là, pour cause de « commande urgente » !

Maurice a une pensée particulière pour les personnes qui, non juives, ont porté l'étoile, en signe de solidarité, et se sont retrouvées à Drancy, avec une véritable étoile jaune cousue sur leur vêtement, assortie de la mention « amis des Juifs » : « C'était un acte véritable de résistance ! L'un d'eux, Michel Reyssat, m'a prêté un portrait de lui réalisé à Drancy, au mois d'août 1942, par un artiste, David Brainin, disparu en déportation ».

Évidemment, Maurice Rajsfus ne porte pas la police française dans son cœur : « Ils ont volé des années de vie à mes parents. Tous ont participé aux rafles quand ils étaient requis. Pratiquement pas un seul n'a démissionné. Si la police française ne s'était pas mise aux ordres, jamais il n'y aurait eu autant de dégâts. Il y a eu 250 000 déportés de France, dont 76 000 Juifs, les autres étant, pour l'essentiel, des communistes et des gaullistes... Et que dire de ce policier qui, rendant compte à la préfecture de sa mission, ose écrire, le 22 juillet : « Le Vel' d'Hiv' est évacué. Il restait 50 Juifs malades et des objets perdus, le tout a été transféré à Drancy. »

Maurice Rajsfus a aussi des colères présentes : « On commémore, certains à tour de bras, mais on oublie. Surtout, on évite de tirer les leçons, de voir ce qui se passe aujourd'hui. Il y en a, ce qui les intéresse, c'est un certain passé, mais pas le présent. Cela dit sans nier les spécificités ».

Maurice Rajsfus continue de questionner l'histoire. Passionnément. Depuis 1942. Ses questions peuvent se résumer en une seule : « M'man, p'pa, pourquoi ? ». Elle a des tas de réponses. Aucune n'épuise la question.



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