La Grèce classique : 480-323
4. La Guerre du Péloponnèse : 431 à 404 av. J.-C
L’affaire de Corcyre, amorce du conflit
Première phase : 431-421
Seconde phase : 415-404
4.3. Seconde phase : 415-404
4.3.1. Alcibiade
A Athènes, deux hommes s’opposent : Nicias, homme d’âge mûr, partisan de la paix avec Sparte et d’un impérialisme modéré, s’impose à la mort de Cléon et conclut la paix qui porte son nom. Il a en face de lui Alcibiade, beaucoup plu jeune, de la famille des Alcméonides, pupille de Périclès, disciple et ami de Socrate. Après une jeunesse tumultueuse et scandaleuse, il débute sa carrière militaire au siège de Potidée et se bat à Délion en 424. Chef des démocrates bellicistes, il est élu stratège en 420. Surtout, il est d’une ambition sans bornes, convaincu que la guerre, à la reprise de laquelle il milite avec passion, pourrait lui ouvrir les chemins du pouvoir. Il travaille donc à la rupture de la paix de Nicias.
La première occasion lui est offerte pratiquement dès la conclusion de la paix, lorsqu’Argos se détache de la ligue du Péloponnèse et forme sa propre ligue avec Elis et Mantinée. Poussée par Alcibiade, Athènes s’allie à Argos en guerre contre Sparte : les alliés s’emparent d’Epidaure et d’Orchomène et marchent sur Tégée. Sparte mobilise et en août 418 son armée forte de 9 000 hommes aux ordre du roi Agis II, rencontre et écrase les 7 000 coalisés à Mantinée. La coalition s’effondre et Argos se retrouve seule. Athènes rompt une seconde fois la trêve en 416 en attaquant l’île de Mélos, accusée de vouloir quitter la ligue de Délos et de rechercher une alliance avec Sparte.
Alcibiade trouve rapidement un prétexte pour relancer le conflit : en Sicile, Syracuse, colonie de Corinthe, cherche à étendre son hégémonie sur l’île. En 416, Sélinonte, alliée de Syracuse, attaque Ségeste. Celle-ci fait appel à l’aide d’Athènes, offrant même de payer les frais de l’expédition. Alcibiade saute sur l’occasion : un expédition en Sicile permettrait à Athènes d’étendre son influence à l’ouest, de contrer l’influence syracusaine et de menacer les approvisionnements en blé du Péloponnèse venant précisément de Sicile. Alcibiade compte sur le soutien des indigènes sicules et de certaines cités grecques de l’île, notamment celui de Léontinoi. Nicias s’oppose de tout son poids à cette aventure, mais rien n’y fait : Athènes décide l’intervention et en confie le déroulement à Nicias, Alcibiade et Lamachos. Les Athéniens prennent la mer en juin 415. C’est alors qu’éclate l’affaire des Hermocopides.
4.3.2. L’affaire des Hermocopides
La ville d’Athènes est parsemée de « stèles hermaïques », colonnes carrées surmontées d’un buste d’Hermès et ornées d’un phallus, qui servent à marquer certaines limites de la ville (carrefours, places…) et à les sanctifier. Or, quelques jours avant le déport de l’expédition, de nombreuses stèles sont retrouvés mutilées, soit au visage, soit au phallus. Le scandale est énorme et une enquête est diligentée. La thèse du complot organisé de l’intérieur s’impose rapidement, après qu’on eut écarté celle d’une provocation de Corinthe. Beaucoup d’Athéniens y voient une tentative de renversement de la démocratie au profit de la tyrannie.
Une prime est offerte, et rapidement, les dénonciations pleuvent : un esclave dénonce une parodie des Mystères d’Eleusis, à laquelle Alcibiade aurait participé ; un autre dénonce 18 personnes, un troisième42, dont certains citoyens les plus en vue de la cité… Tous ces témoignages sont démontés un à un, mais le mal est fait : Alcibiade, à son corps défendant, se trouve au centre du scandale, d’autant que ses adversaires ne se gênent pas pour l’exploiter, notamment en utilisant un témoignage proche de celui de l’esclave, celui de Léogaras et de son fils Andocide, qui font partie de la même hétairie (« club » aristocratique) qu’Alcibiade.
Les magistrats décident donc de juger Alcibiade. Avant même qu’il ne débarque en Sicile, il est rappelé à Athènes. Sans hésiter, il fuit, se réfugie à Sparte où ses conseils seront judicieux.
4.3.3. Le désastre de Syracuse
Le corps expéditionnaire Athénien débarque en Sicile et met de siège devant Syracuse, bientôt soutenue par Sparte et Corinthe. Lamachos est tué, et Nicias reste seul à la tête de l’armée : toujours peu convaincu de la nécessité de cette guerre, il se bat mollement, alors qu’à la tête d’un corps expéditionnaire spartiate et corinthien, le roi Gylippos arrive au secours des Syracusains.
Athènes décide immédiatement une armée de secours commandée par Démosthène et Eurymédon En septembre413, Nicias, qui n’a pas réussi à franchir l’Assinaros, est pris au piège et défait. Ses soldats sont massacrés et lui-même est exécuté. La flotte athénienne est encerclée dans la rade et l’armée de secours est détruite à son tour : les généraux sont exécutés et les 7 000 soldats survivants sont enfermés dans les Latomies où la plupart va périr dans d’atroces souffrance, les survivants étant vendu comme esclave. Quant à la flotte, elle est détruite peu après à la bataille des Epipoles. Athènes vient de perdre quarante mille hommes et plus de deux cent navires. C’est un véritable désastre.
Pendant ce temps, sur le continent, Sparte, conseillée par Alcibiade, pénètre en Attique et s’empare de la forteresse de Décélie (fin mars) d’où l’armée effectue de nombreux raids, provoquant la fuite de 20 000 esclaves des mines du Laurion dont l’exploitation cesses, privant Athènes d’une de ses ressources principales. Profitant de la situation l’Eubée fait défection, l’Ionie et Chios se révoltent contre Athènes. Les spartiates entament des négociations avec la Perses alors qu’à Sparte, Alcibiade, est compromis dans un scandale compromettant l’épouse d’Agis, échappe à un assassinat et s’enfuit en Perse d’où il rejoindra plus tard Athènes.
Ces désastres entraînent en mai 411 une révolution oligarchique à Athènes : le nouveau régime « des quatre cent » demande aussitôt la paix au roi de Sparte Agis et envoie une ambassade à Lacédémone. Mais c’est sans compter sur la flotte athénienne et ses chefs Thrasybule et Thrasyllos cantonnée à Samos : marins et soldats menacent d’intervenir, et malgré une défaite navale contre Sparte au large d’Erétrie en juillet qui livre à Lacédémone la mer Egée, font chuter le régime et appuient le retour en grâce d’Alcibiade.
4.3.4. La défaite finale d’Athènes : 411-404
Athènes redresse un tant soit peu la situation : Thrasybule emporte la bataille navale de Cynosséma dans l’Hellespont en septembre puis celle d’Abydos, dans la même région en octobre 411. Puis en mars 410, Alcibiade, à la tête de la flotte de Samos remporte une grande bataille à Cyzique dans la Propontide (mer de Marmara), libérant la route de l’approvisionnement en blé de l’Attique. Cette victoire place Athènes en position de force, et Sparte fait en été des propositions de paix, que Cléophon d’Athènes rejette. Alcibiade continue sa campagne dans le nord, assiège et prend Byzance en 409 et rentre en 408 à Athènes où il reçoit les pleins pouvoirs, alors que Sparte, qui vient de nommer Lysandre navarque, conclut une alliance avec Cyrus le Jeune lui laissant les mains libres en Egée et lui accordant un soutien financier. En mars 407, Alcibiade est défait sur mer à Notion. Destitué, il s’enfuit se réfugier en Thrace et sera assassiné en Phrygie sur ordre de Lysandre en 404.
À la fin de la guerre, Sparte favorisa le parti aristocratique athénien, qui instaura un régime oligarchique, le gouvernement des Trente Tyrans, pour diriger Athènes. La domination spartiate sur le monde grec se révéla bientôt encore plus sévère et oppressive que celle d’Athènes. En 403 av. J.-C., les Athéniens se révoltèrent sous l’égide de Thrasybule, chassèrent la garnison spartiate qui avait soutenu l’oligarchie, et restaurèrent la démocratie et leur indépendance. D’autres cités grecques se rebellèrent régulièrement contre l’hégémonie de Sparte. Athènes, qui vient de subir une nouvelle défaite en 406 contre Callicratidas de Sparte, se reprend : elle permet aux métèques et même à certains esclaves d’accéder à la citoyenneté et peut ainsi reconstituer une flotte puissante. Sous les ordres de Conon, Périclès le Jeune et Thrasyle, inflige en août 406 une sérieuse défaite navale à Callicratidas aux îles Arginuses (entre Lesbos et la côte d’Asie Mineur). Mais revenus à Athènes, Périclès et Thrasyle sont mis à mort, car ils ont commis le sacrilège de ne pas avoir recueilli les cadavres des leurs à cause d’une violente tempête…
Callicratidas mort aux Arginuses, Lysandre, reprend le commandement de la flotte spartiate. En 405 il attaque la flotte athénienne de Conon dans l’Hellespont et, bien que disposant de forces inférieures, réussit par une manœuvre audacieuse à la détruire à Aigos Potamos, coupant la route du blé à Athènes. Conon fuit à Chypre. Aux abois, assiégée, affamée, la cité d’Attique se rend en avril 404, ainsi que Samos où stationnent les débris de sa marine.
4.3.5. La paix
Dictées par Sparte, les clauses de la paix sont très humiliantes pour Athènes : elle évite d’être rasée comme le demandaient Thèbes et Corinthe, mais perd ses fortifications et ses Longs Murs que Lysandre fait démolir en même temps qu’il fait incendier ses vaisseaux ; elle perd son empire maritime où les spartiates installent des régimes oligarchiques ; elle est obligée de s’allier à Sparte ; enfin elle est obligée d’accepter un gouvernement oligarchique, celui des « Trente tyrans » et son corps civique est réduit à 3 000 citoyens.
4.3.6. Conclusion
La guerre du Péloponnèse marque incontestablement un tournant dans l’histoire grecque par les transformations profondes qu’elle imprime au monde de l’Hellade : cette crise marque le début du déclin et de la crise de la cité qui allait marquer tout le IVè siècle. Elle entraîne des pertes économiques importantes, ainsi que des pertes humaines conséquentes. Les campagnes sont ravagées et la paysannerie est notablement appauvrie, même si la guerre a affecté les diverses régions à des degrés de gravité différents. De nombreux troubles sociaux fon,t écho à cette crise politique…
Ces troubles affectent moins les régimes politiques démocratiques que les régimes aristocratiques : alors qu’Athènes va très rapidement rétablir la démocratie le Péloponnèse, où tous les régimes sont oligarchiques, va être régulièrement et durablement secoué des luttes sociales, avec des revendication de type révolutionnaire comme le partage des terres ou l’abolition des dettes… Dans certaines cités, la crise débouche sur l’installation d’une tyrannie au profit des chefs de l’armée, comme à Sicyone avec Euphrôn et à Syracuse avec Denys… La pauvreté jette sur les routes du monde grec de milliers de personnes dont le seul moyen de subsistance est le mercenariat, entretenant des troubles dont la permanence menace toutes les cités. Cette « professionnalisation » du métier militaire entraîne une grave rupture au sein de la cité : alors que jusqu’à présent les stratèges étaient les magistrats suprêmes de la cité élus par les citoyens, ils deviennent de plus en plus des professionnels de la guerre, menant leurs campagnes comme ils l’entendent, souvent mû par des préoccupations personnelles, et abandonnant aux autres le soin de gérer les affaires de la cité dont ils se désintéressent de plus en plus…
Politiquement, la guerre du Péloponnèse n’est que le début d’une grande crise qui va secouer le monde grec pendant tout le IVè siècle, un prolongement de la lutte pour l’hégémonie, qui voit apparaître de nouvelles puissances en face d’Athènes, durablement marquée par la guerre et de Sparte, en proie à une terrible crise intérieure et dont le déclin militaire par manque d’hommes est inexorable.